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Analyses

Zardari sera-t-il un pont entre Israël et le monde musulman ?

.: le 1er octobre 2008

L’élection de Zardari à la tête du Pakistan met fin à neuf ans de dictature et ouvre une nouvelle page dans l’histoire du pays et de ses relations de voisinage. C’est ce que constate Nathalie Szerman, journaliste franco-israélienne et auteur de nombreux articles sur le Moyen-Orient.

Asif Ali Zardari élu, le 6 septembre 2008, président du Pakistan, deuxième plus grand pays musulman après l’Indonésie et seule puissance nucléaire du monde islamique, arrive au pouvoir dans un contexte de combats entre l’armée pakistanaise et les groupes de djihad proches d’Al-Qaïda dans les zones tribales. Sa défunte épouse, Benazir Bhutto, avait souhaité engager des relations officielles avec Israël.

Etat des relations entre Israël et le Pakistan

En 2003, le président Musharraf avait évoqué la possibilité de relations diplomatiques avec Israël, et en 2005 les ministres des Affaires étrangères des deux pays s’entretenaient pour la première fois. Suite à l’entretien, Musharraf avait toutefois jugé prudent de préciser que le Pakistan ne reconnaîtrait pas l’Etat d’Israël tant qu’un Etat palestinien indépendant n’était pas établi.

Cela n’a pas empêché le titre suivant, en 2005, dans un article de la BBC News : “Pakistan and Israel, New Friends ?” L’article rapportait que Shimon Peres, interviewé pour le journal pakistanais à grand tirage The News, appelait le Pakistan et Israël, qui n’ont pas de relations diplomatiques, à avoir des contacts “directs, personnels et publics sans en avoir honte”.

Le jour suivant, une foule en colère prenait d’assaut les locaux du journal à Karachi, brisant les fenêtres de l’immeuble. La foule ne réagissait pas tant au contenu de l’entretien qu’au fait que le journal ait osé accorder une tribune à une voix du gouvernement israélien.

Hussain Haqqani, ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, estime que l’antisémitisme est si bien ancré dans la société pakistanaise qu’il faudrait plus qu’une rencontre de ministres pour en avoir raison. Dans une interview du LA Times, le ministre pakistanais de l’Education lui-même qualifiait les Juifs de “pires terroristes du monde”. Voilà qui laisse pessimistes ceux qui placent leurs espoirs dans l’éducation.

Et pourtant, les contacts non officiels se poursuivent au plus haut niveau entre Israël et le Pakistan, et ce depuis 1980, car les avantages d’une amélioration des liens avec Israël sont nombreux : elle permettrait notamment au Pakistan d’intégrer le “club d’élite” (selon une expression d’Aamer Ahmed Khan, correspondant de la BBC à Karachi) constitué par les Etats-Unis, l’Inde et Israël, pays qui ont une perception commune des problèmes liés à la sécurité au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Le gouvernement du Parti des peuples du Pakistan a déjà clairement fait part de ses intentions d’engager une politique beaucoup plus positive avec l’Inde.

Benazir Bhutto, qui se savait en danger, avait cherché à bénéficier de la protection du Mossad et de la CIA, lors des élections qui devaient la mener au pouvoir. Le gouvernement israélien lui aurait toutefois refusé ce service, par crainte de déplaire à Musharraf.

Deux mois avant son assassinat, de passage à Londres, Bhutto avait fait savoir qu’elle aimerait, si elle était élue, renforcer les liens entre Israël et le Pakistan. Elle avait confié à Shimon Peres qu’elle entendait se rendre en visite en Israël une fois au pouvoir. Bhutto aurait pu devenir, selon les dirigeants israéliens, un pont entre Israël et le monde musulman. Zardari, qui s’est engagé à suivre la voie de sa défunte épouse, jouera-t-il ce rôle ?

Zardari : séduction, corruption et dépression

Marié dans la tradition musulmane avec Benazir Bhutto (mariage arrangé), Ali Asif Zardari, dont la famille était propriétaire d’un cinéma au Pakistan, n’en arborait pas moins des allures de macho : moustache, cheveux gominés… Benazir et Ali Asif formaient un couple haut en couleur : elle belle, charismatique, puissante, désireuse d’instaurer la démocratie dans son pays, lui un peu plus jeune qu’elle, ténébreux, allant dans son ombre (en le voit fréquemment sur les photos un peu en retrait derrière elle), épris de pouvoir également (il fut député à l’Assemblée nationale, ministre de l’Environnement quand sa femme fut Premier ministre, et sénateur). Lee Kuan Yew, ancien Premier ministre du Singapour, l’aurait qualifié d’ « aimable filou ».

Le New York Times rapporte que Benazir Bhutto qualifiait quant à elle son époux de “Mandela du Pakistan”. A l’époque où elle fut Premier ministre, il obtint toutefois le surnom, beaucoup moins élogieux, de “M. 10%”, pour les commissions qu’il exigeait sur les contrats gouvernementaux.

La solidarité de Bhutto et Zardari l’un pour l’autre semble ne s’être jamais démentie, malgré des années de séparation dues à l’exil (pour elle, à Dubaï) et à la prison (pour lui surtout). Lors de leurs ultimes retrouvailles, c’est lui encore qui accompagne son cercueil. Leurs liens semblent à ce point indéfectibles qu’en disparaissant, c’est un peu comme si elle lui passait le flambeau pour se mettre à son tour en retrait et le seconder, comme lui le fit pour elle de son vivant.

Zardari a été accusé par son pays d’avoir détourné pas moins d’un milliard et demi de dollars. Des enquêteurs privés britanniques et américains au compte de son rival politique ont évoqué l’existence d’un réseau de comptes en banques éparpillés dans plusieurs pays. Les intéressés (son épouse et lui) ont toujours démenti. Le 14 mars 2008, Asif Ali Zardari était acquitté, aucune des accusations n’ayant pu être prouvée, après près d’une décennie passée en prison.

Le dossier médical de Zardari fait état de lésions psychologiques dues aux années d’incarcération : dépression, instabilité émotionnelle, pertes de mémoire et difficultés de concentration sont quelques-unes des séquelles dont souffrirait le nouveau président pakistanais. Il aurait également envisagé de se suicider.

La réputation d’homme corrompu qui lui colle à la peau explique le peu d’enthousiasme des Pakistanais pour leur nouveau président. Beaucoup considèrent qu’il a pillé les richesses du pays. Selon un sondage, 44 % des sondés n’approuvaient d’aucun candidat : élu suite à la démission de Musharraf et à l’assassinat de son épouse, Zardari est devenu le président du “moindre mal”. La population estime toutefois qu’au moins il pourra gouverner, le Premier ministre appartenant au même parti que lui (PPP).

Les engagements de Zardari : lutte contre le terrorisme et défense de la démocratie

Bien que son expérience au gouvernement soit mineure, Zardari a remporté les élections haut la main, élu par un collège de grands électeurs. Flanqué de ses deux filles, il a promis au peuple d’être fidèle à l’engagement démocratique de son épouse assassinée. Il a ainsi assuré qu’il annulerait la clause constitutionnelle autorisant le président à dissoudre le Parlement, mesure visant à renforcer le parlement pakistanais.

Le Parti des Peuples du Pakistan, co-présidé par le président Zardari et son fils aîné Bilawal, depuis la mort de Bhutto, a fait de la défense de la démocratie son cheval de bataille. Dans les faits, le vrai grand défi que va devoir relever Zardari (conditionnel à l’instauration d’une démocratie sûre), c’est d’endiguer le terrorisme religieux, menace qui ne cesse de gagner du terrain, aussi bien pour assurer la sécurité du Pakistan que pour répondre aux exigences pressantes des puissances occidentales.

Un combat efficace contre le terrorisme permettrait en outre au pays, à l’économie défaillante, d’attirer les investisseurs. Il ne faudra toutefois pas compter sur le soutien des médias pakistanais, qui répandent l’idée que les Etats-Unis sont venus au Pakistan pour porter atteinte à l’islam et confisquer l’arme nucléaire pakistanaise.

Hamid Karzaï, président d’Afghanistan dont les relations avec Musharraf se sont souvent avérées houleuses, a été le seul dirigeant étranger à assister à l’investiture de M. Zardari à Islamabad. Karzaï avait souvent fustigé l’armée et les renseignements pakistanais, coupables selon lui d’encourager le terrorisme et de soutenir les attaques contre l’Afghanistan. Il compte sur Zardari pour faire de la lutte contre le terrorisme une priorité, œuvrer pour la paix au Pakistan, en Afghanistan et dans toute la région. Karzaï s’était entretenu avec Benazir Bhutto le jour même de son assassinat, et s’était réjoui de sa détermination à agir contre les sanctuaires d’activistes situés dans les zones tribales du Pakistan, si elle devenait Premier ministre.

Zardari jouit également des bonnes dispositions américaines à son égard, étant considéré là-bas aussi comme un allié de la lutte contre le terrorisme. Il a promis de combattre fermement Al-Qaïda et les talibans tapis dans les zones tribales, d’où ils préparent leurs offensives contres les troupes des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan. Or son élection a coïncidé avec les tentatives américaines renforcées pour déraciner ces groupes terroristes.

Nathalie SZERMAN © Israel Magazine

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