Yesodot : une organisation israélienne pour réconcilier valeurs religieuses et démocratiques.: le 18 janvier 2010
Face à la montée en Israël depuis quelques années d’un intégrisme religieux, l’organisation Yesodot a été créée dans le but de réconcilier les valeurs juives et démocratiques.
On est trop souvent surpris par le ton peu amène que certains religieux juifs en Israël emploient en évoquant la notion de « laïcité », ou même celle de « démocratie », placée en opposition à un modèle théocratique idéalisé. Face à cette réalité, certains ont souhaité montrer que Torah et démocratie peuvent, et doivent, marcher main dans la main. L’organisation Yesodot a été créée dans ce but. Nous avons rencontré son président fondateur à Jérusalem.
Création de Yesodot suite à l’assassinat d’Itzhak Rabin : l’autorité religieuse passe-t-elle avant ou après l’autorité civile ?
Créée en 1996, suite au choc de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Itzhak Rabin, pour éviter le cloisonnement de la population religieuse sioniste et assurer sa bonne intégration au sein de la société israélienne, l’ONG Yesodot, composée de sionistes religieux, a choisi de défendre avant toute chose les valeurs démocratiques. L’assassinat du Premier ministre par un membre de la communauté religieuse sioniste est vécu par Shlomo Fischer, kippa tricotée sur la tête, comme une gifle : un constat d’échec.
Au lendemain du drame, il appelle donc Yaffa Gesser, épouse du rabbin de l’implantation Ofra, qui termine avec lui un cursus d’études à l’Institut Mandel pour le leadership, afin de l’entretenir de ce qui peut être fait pour remédier au problème de la radicalisation du mouvement sioniste religieux. Shlomo Fischer fait en effet partie de la gauche israélienne sioniste religieuse (Meymad), mais le cœur de Yaffa est à droite… Ensemble toutefois, ils vont fonder Yesodot, les "bases", pour promouvoir la démocratie comme valeur morale ancrée dans la Torah.
« La communauté sioniste religieuse n’a ni plus, ni moins de problèmes que les autres communautés d’Israël ; elle a toutefois des problèmes qui lui sont propres : l’autorité religieuse passe-t-elle avant ou après l’autorité civile ? Tel est le dilemme qui la tourmente. » La réponse de Shlomo Fischer ne se fait pas attendre : « L’autorité religieuse passe après, bien sûr. C’est un devoir religieux d’obéir à l’autorité civile. ».
Fischer et Gesser contactent le ministère de l’Education et sont surpris de se voir accorder un entretien sans délai. Telle est alors exactement la direction que le gouvernement souhaite prendre : éduquer la communauté sioniste religieuse au respect de la tolérance, des valeurs civiques et démocratiques. Voir venir de leur propre chef des membres de cette même communauté, prêts à prendre en main cette tâche difficile, est chose inespérée, et les premiers fonds arrivent sans mal.
« Nous avons démarré au plus haut niveau : Matti Dagan était alors à alors à la tête du ministère de l’Education religieuse (Minhal Hakhinoukh Hadati). On était en septembre et je pensais pouvoir obtenir un rendez-vous pour le mois de janvier. Mais nous avons été reçus deux semaines plus tard. » A ce rendez-vous, ils obtiennent le soutien du ministère pour la création d’un séminaire de formation de directeurs de lycées, « car ce sont eux qui insufflent sa direction à une école. Si l’on veut changer les choses, c’est par eux qu’il faut commencer. Ensuite, nous sommes descendus au niveau des enseignants, et finalement des étudiants. Nous cherchons à toucher les 700 écoles primaires et lycées orthodoxes du pays, mais ciblons un petit nombre d’écoles à la fois. Nous travaillons actuellement sur une quinzaine d’écoles »
Démantèlement du Goush Katif, second choc pour la communauté sioniste religieuse : « En renforçant l’engagement démocratique de cette communauté, c’est le tissu social israélien dans son ensemble que nous consolidons. »
Avec le démantèlement de colonies du Goush Katif en 2005, la communauté religieuse sioniste subit un second choc et se retrouve encore une fois pointée du doigt et stigmatisée, et surtout, déchirée entre son engagement à suivre les préceptes de la Torah et son allégeance à l’Etat d’Israël.
Yesodot revient à la charge, avec des textes qui soutiennent les valeurs démocratiques et le respect de la loi. « Yesodot est le seul programme qui entend prouver que l’orthodoxie religieuse juive est compatible avec les valeurs de la Torah », martèle Shlomo Fischer. « La communauté religieuse constitue près de 25% de la société israélienne. En renforçant l’engagement démocratique de cette communauté, c’est le tissu social israélien dans son ensemble que nous consolidons. »
"Nous n’avons pas de tradition continue de souveraineté"
« A Yesodot, on essaie d’inculquer l’idée que les valeurs de tolérance, de Droits de l’Homme et d’égalité ne sont pas seulement compatibles avec la Torah ; elles en sont le cœur. » Est-ce toutefois vrai ? est-on en droit de se demander. Dans la Torah, le peuple juif n’est-il pas choisi entre tous les peuples, d’où inégalité ? Pour Shlomo Fischer, cette "élection" divine n’est pas un concept civique. Or dans les textes juifs, l’évolution civique s’arrête avec la destruction du Second Temple. "Nous n’avons pas de tradition continue de souveraineté", souligne Fischer. Il existe donc un vide qui doit être comblé par l’inculcation des valeurs démocratiques, lesquelles sont déjà présentes à l’état latent dans les textes de la tradition juive, explique-t-il.
« Aujourd’hui, nous sommes bien connus du système sioniste religieux. Quand nous appelons les lycées, ils savent qui nous sommes et ce que nous voulons. Nous leur proposons des formations pour les enseignants à raison de dix réunions de trois heures chacune. Nous leurs fournissons en outre des documents et du matériel leur permettant d’insuffler les valeurs démocratiques à leurs élèves, sur la base de textes de la tradition juive. »
« Tous les ans à l’occasion de la date anniversaire de l’assassinat de Rabin, Yesodot envoie aux écoles sionistes religieuses du matériel et des documents à utiliser pour promouvoir ces valeurs. Près de 25% des lycées s’en servent… Bien que la loi impose de commémorer l’assassinat de Rabin dans toutes les institutions scolaires, certaines écoles sionistes religieuses sont encore réticentes à le faire », regrette-t-il.
Une approche américaine de la démocratie : « Pour nous, la démocratie n’est pas seulement un outil qui perd sa valeur s’il ne marche pas. C’est une valeur. »
Le Dr Fischer se définit comme un sociologue et un éducateur. Arrivé de New York à l’âge de 18 ans, il a étudié en yechivah, à l’université, et a participé à l’élaboration de manuels scolaires. Son approche de la démocratie est restée très américaine : « Nous pensons que la démocratie se base sur la moralité. Pour nous, la démocratie n’est pas seulement un outil qui perd sa valeur s’il ne marche pas. C’est une valeur. Notre programme, c’est l’éducation POUR la démocratie, et non l’éducation démocratique. Notre but n’est pas d’organiser des réunions, mais de mettre en pratique les principes démocratiques. Nous travaillons notamment avec des jeunes filles faisant leur service national auprès de populations venant du Ghana, des Philippines. Nous intégrons les Droits de l’Homme à leur existence. »
Pour ce faire, les textes talmudiques ne suffisent pas toujours : « Kant et Rousseau sont aussi enseignés. Dans certaines écoles religieuses, c’est la première fois qu’ils entendent les noms de ces philosophes. »
« A Yesodot, nous mettons en avant les rabbins qui défendent la tolérance », souligne Shoshi Becker, sioniste, religieuse et directrice de Yesodot. Elle seconde le Dr Fischer dans toutes ses tâches depuis le départ de Yaffa Gesser. « Le Rav Riskin d’Ephrat, le Rav Ariel, le grand rabbin de Haïfa et d’autres encore. L’ancien grand rabbi sépharade de Tel-Aviv, Haïm David Halévi, était très proche de nous », rappelle-t-elle.
L’équipe de Yesodot est composée de docteurs en sciences politiques, en pensée juive, ainsi que d’éducateurs. Riche de 25 personnes à ses débuts, l’ONG n’en comprend aujourd’hui plus que seize. « Nous avons le statut de simple ONG, alors que notre travail devrait être intégré au programme éducatif du gouvernement. Il y a près d’une centaine de commissions qui s’occupent de tolérance et de démocratie, et pas une seule, hormis la nôtre, ne concerne la communauté des sionistes religieux ! N’est-ce pas aussi une forme de discrimination ? »
Nathalie SZERMAN © Middle East Pact
L’auteur est journaliste franco-israélienne et conseillère du MEP.