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Analyses

Un écrivain égyptien : l’islam n’a pas été révélé pour voiler les femmes

.: le 4 janvier 2009

Le cri de colère d’un célèbre écrivain égyptien. Sans détour, Alaa Al-Aswani s’en prend aux tartufes, aux prédicateurs et au pouvoir. Et il rappelle que le véritable islam prône d’abord la justice et la liberté.

En novembre 2006, quand le ministre [de la Culture] égyptien, Farouk Hosni, avait critiqué le voile, les membres du Parti national-démocrate [PND, au pouvoir] s’en étaient violemment pris à lui au Parlement. L’un d’eux s’était emporté jusqu’à lui crier :“Fossoyeur de l’islam !”, avant de s’évanouir sous le coup de l’émotion. Si les représentants du parti au pouvoir tiennent si ardemment à l’islam, pourquoi ne pensent-ils jamais à la contradiction entre les principes de l’islam et le trucage des élections, les arrestations d’innocents, la torture, le pillage de l’argent public, l’appauvrissement des Egyptiens et d’autres crimes commis par le régime qu’ils représentant ?

De nombreux officiers des services de sécurité sont pratiquants et observent scrupuleusement la prière, le jeûne et le pèlerinage. Cela ne les empêche nullement de faire tous les jours leur métier de tortionnaires, de tabasser et d’électrocuter les prisonniers. Un membre de ma famille est un haut responsable gouvernemental connu pour ses tripatouillages électoraux et ses violations de la loi. Mais, au sein de la famille, il passe pour quelqu’un de profondément religieux, et on fait appel à lui pour éclaircir des points théologiques délicats. Il existe d’innombrables exemples de ces Egyptiens qui s’acquittent de leurs obligations religieuses tout en se comportant au quotidien de la manière la plus contraire à la religion. Au cours du dernier mois de ramadan, le journal égyptien Al-Masri Al-Yom a publié une excellente enquête sur l’hôpital public, qui relatait que la plupart des médecins abandonnent les malades pour faire leur prière au moment de la rupture du jeûne. Et il ne s’agit pas de quelques ignares, mais de médecins diplômés. Ils considèrent tout simplement qu’il est bien plus important de faire la prière que de s’occuper des malades, même si la vie de ces derniers est en danger.

Ce n’est pas seulement une question d’hypocrisie ou d’ignorance. Le fond du problème est que bien des gens se font une conception erronée de la religion, qui valorise les aspects visibles de la religiosité. Cette prétendue religion est confortable parce qu’elle ne demande pas d’effort, ne coûte pas cher, se limite à des slogans et à des apparences, et donne un sentiment de paix intérieure et de satisfaction de soi. Les vrais principes de l’islam en revanche – justice, liberté et égalité – vous font courir le risque de perdre votre salaire, votre situation sociale et votre liberté.

Ceux qui ont adopté cette prétendue religion jeûnent, prient, saluent à la manière musulmane et imposent à leurs épouses le hijab [voile des cheveux] et le niqab [voile du visage]. Ils participent probablement aux manifestations contre les caricatures danoises [jugées antimusulmanes] et contre l’interdiction du voile en France, et écrivent des courriers de lecteurs à Al-Ahram [principal quotidien égyptien] pour dénoncer la frivolité des vidéoclips. Ils estiment avoir ainsi accompli tout leur devoir vis-à-vis de la religion.

Le régime a toujours favorisé cette caricature de religion

Ils ne s’intéressent nullement à la politique et ne se soucient pas de la succession au pouvoir. Certains ne voient aucun mal à ce que le président lègue le pays à son fils, comme s’il s’agissait d’un élevage de moutons dont on hérite en famille. Les adeptes de cette religion de façade ne considèrent pas qu’ils ont des droits politiques en tant que citoyens et ne sont pas mus par l’idée de la démocratie.

Cette prétendue religion est pour les Egyptiens une triste maladie. Elle les pousse à la passivité et à l’indifférence face à la tyrannie et à la répression.

Anouar El-Sadate [qui fut président de 1970 à 1981] a utilisé cet islam-là afin de contenir l’opposition de gauche. Ensuite vint la révolution iranienne, qui constituait une vraie menace pour le régime saoudien. Celui-ci a dépensé des milliards de dollars afin de propager la conception wahhabite [fondamentaliste] de l’islam, une conception qui mène immanquablement à pratiquer une religion de pure façade (ceux qui le contestent devraient regarder l’énorme hiatus entre le discours et la réalité en Arabie Saoudite). Sur les chaînes satellitaires saoudiennes, des dizaines d’hommes de religion parlent vingt-quatre heures sur vingt-quatre de questions religieuses, mais jamais du droit des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois d’exception, ni de la torture et des arrestations arbitraires. Leur pensée ne s’attarde jamais aux questions de justice et de liberté. En revanche, ils se vantent d’avoir réussi à mettre le voile à une femme. Comme si Dieu avait révélé l’islam dans le seul but de couvrir les cheveux des femmes, et non d’établir la justice, la liberté et l’égalité.

Le tyrannique régime égyptien a toujours veillé à favoriser cette caricature de religion. Il considère ses adeptes comme des citoyens modèles, puisqu’ils gardent profil bas du berceau jusqu’à la tombe. Quand ils se révoltent, c’est par rapport à des événements qui se passent à l’étranger ou des choses qui ne risquent pas d’importuner le pouvoir. Le régime ne trouve rien à redire à tout cela : la seule chose qui l’intéresse est de ne pas avoir à rendre des comptes sur son action.

Quant aux martyrs du régime de Hosni Moubarak, dont le nombre dépasse celui de toutes les guerres de l’Egypte – victimes d’accidents ferroviaires, de naufrages de ferries, d’effondrements d’immeubles, de maladies, de cancers et d’empoisonnement par les pesticides –, tous ceux-là sont, selon le véritable islam, les victimes de la corruption et des abus de pouvoir. Pour un islam de façade, tous ces drames relèvent de la malchance. Ceux qui sont morts seraient morts de toute façon, tôt ou tard, et cela n’a donc aucun sens d’incriminer quiconque. L’islam dans toute sa grandeur avait poussé les musulmans à faire connaître au monde l’humanité, la civilisation, l’art et la science. Mais la tartuferie nous a menés à toute cette ignominie et à cette misère dans laquelle nous vivons.

Alaa AL-ASWANI © Al-Dustour (Egypte)

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