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Analyses

Syrie : le spectre du conflit entre les communautés

.: le 23 août 2012

Dans cet article publié sur le site français du Huffington Post, Fay Badrane analyse les rapports tendus entre les différentes communautés religieuses, dans le contexte de guerre civile qui agite le pays.

Un spectre hante la Syrie depuis le début de la contestation populaire pour la liberté et la dignité : le spectre du conflit entre les communautés, les ethnies et les confessions. Sourd aux aspirations démocratiques des Syriens de plus en plus nombreux à descendre pacifiquement dans la rue durant les longs mois écoulés et ne voulant céder sur rien, Bachar el-Assad s’acharne à répondre à son peuple avec l’extrême violence que l’on sait. Plus encore, très vite il a joué de la menace de guerre civile et de l’affrontement intercommunautaire qu’il n’a eu de cesse d’entretenir pour se présenter comme le seul garant de la cohésion nationale, comme l’unique recours pour la nation entière.

Dès avril 2011, le chercheur arabisant Ignace Leverrier avait bien vu que le régime syrien cherchait à entrainer la population dans une guerre civile. Il écrivait à propos de la situation d’alors : "Ce qui s’y prépare en silence, loin des regards, est d’une extrême gravité. Il ne s’agit ni plus ni moins de la part d’un régime à bout de ressources politiques et dont le seul argument réside dans l’emploi de la force, que de pousser les Syriens à bout. Il veut les contraindre, soit à renoncer à leurs aspirations à la liberté, soit à recourir à la violence. Il lui sera alors facile de travestir la demande de démocratie de la jeunesse syrienne en un ’’soulèvement confessionnel’’". Les faits ont confirmé cette analyse.

Pour mettre en œuvre son plan - avant de recourir aux chars et aux avions de guerre comme c’est le cas aujourd’hui - le régime a réprimé toute voix dissidente avec une rare férocité. Il s’est servi de ses milices de chabbiha pour semer la terreur. Il a usé et abusé de la théorie éculée du complot selon laquelle le chaos actuel serait le fait de terroristes à la solde de l’étranger… Ses services ont souvent propagé des rumeurs d’attaques contre les minorités afin de les inquiéter, même si l’on ne peut nier des actes de vengeance menés par certaines obédiences contre d’autres. Enfin, dans cette logique qui consiste à dresser un camp contre l’autre, le pouvoir n’hésite pas à recruter des mercenaires issus des différentes communautés en les armant. Tout récemment, il a encore - sans vraiment s’en cacher - distribué des armes à des alaouites, des chrétiens, des druzes, des kurdes, des arméniens… Bref, il divise pour régner.

En face, la contestation, percevant très tôt le danger mortel que représentait cette stratégie du régime, a quant à elle régulièrement affirmé l’unité de tous les Syriens. En témoignent les nombreux slogans qui fusaient lors des manifestations de rue. La suite, on la connaît : devant une situation politique bloquée résultant de l’intransigeance absolue du régime et écrasée par une répression chaque jour plus meurtrière, une partie des Syriens a décidé de réagir par la lutte armée. Résultat : militairement, une lutte forcément inégale et des armes provenant d’origines diverses, même les plus suspectes ; politiquement, une opposition multiforme, sans direction unifiée, où s’invitent des forces - islamistes ou non - difficilement contrôlables, coupables pour certaines d’actes impardonnables. On ne s’étonnera pas de cet état de fait dans un pays qui, depuis des décennies d’un pouvoir sans partage exercé d’une main de fer par le clan Al-Assad, a perdu l’habitude de toute pratique politique et citoyenne pluraliste. On ne s’ en étonnera pas non plus dans un contexte régional et international où des conflits d’intérêts et des enjeux d’ordre divers se trouvent imbriqués : religieux certes, mais aussi politiques, militaires (nucléaire) et économiques.

Cela étant, si guerre civile et conflit intercommunautaire il y a, ils sont d’abord et avant tout l’œuvre de Bachar el-Assad et de son régime.

Rien de plus naturel alors que dans un tel contexte, les minorités se sentent particulièrement menacées et vulnérables. Il en est ainsi des chrétiens de Syrie dont le sort peut légitimement inquiéter quand on songe à ce qui est arrivé à leurs coreligionnaires d’Irak. Souvent présentés de façon simpliste comme étant unanimement des soutiens du clan au pouvoir, les chrétiens syriens apparaissent, de ce fait, comme une cible toute trouvée pour des règlements de compte qui ne peuvent être que condamnés.

Tous pro-Assad, les chrétiens ? Si cela est vrai de la hiérarchie ecclésiastique, et de la classe d’affaires liée au pouvoir par intérêt, il faut évidemment nuancer le propos. En novembre 2011, Monseigneur Jean-Clément Jeanbart, archevêque grec melkite catholique d’Alep, agitant la menace islamiste qui, à ses yeux, guette la Syrie et donc les chrétiens, déclarait à l’APIC (Agence de presse internationale catholique) que les milieux qui veulent déstabiliser le pays sont minoritaires en Syrie : "J’ose affirmer que le président Bachar el-Assad jouit du soutien d’une grande majorité et si l’on organisait un référendum, il serait soutenu par pas moins de 75% de la population, tant dans les villes que dans les campagnes", avant d’admettre que des réformes politiques sont nécessaires. Début mai 2012, réunie à Alep, l’Assemblée des évêques de Syrie appelait à la réconciliation et surtout encourageait tous les citoyens "à participer aux élections législatives du 7 mai afin d’exprimer la volonté populaire", élections organisées par le pouvoir dans une situation déjà très chaotique et auxquelles personne n’accordait la moindre confiance en raison de leur caractère factice et forcément inefficace. Le 31 juillet dernier, de manière plus retenue, le primat de l’Eglise orthodoxe d’Antioche, Ignace IV Hazim, lançait un appel (rapporté par l’Osservatore Romano, organe du Vatican) "afin que l’on mette un terme aux affrontements et aux hostilités en Syrie" car "un nombre incalculable d’arabes musulmans et de chrétiens, des hommes, des femmes et des enfants meurent chaque jour victimes des bombes". Faut-il rappeler qu’en l’état actuel, seule l’armée régulière syrienne effectue des bombardements ? Bombardements aveugles qui n’épargnent ni les civils ni les lieux de culte quels qu’ils soient.

On peut mettre en regard de ces prises de position officielles, des exemples de chrétiens qui, sans être très nombreux, ont rejoint la révolution en tant que syriens, et parce qu’ils partagent les aspirations de leurs concitoyens. Citons ici le cas emblématique du Père Paolo Dall’Oglio. Versé dans l’étude de l’islam, ce jésuite italien a vécu trente ans en Syrie où il a œuvré notamment en faveur du dialogue entre chrétiens et musulmans. Pour avoir manifesté haut et fort son soutien à la demande de démocratie et de liberté en Syrie, il a été désapprouvé par l’église locale et expulsé par les autorités syriennes.

Le dernier exemple en date - méritant d’être signalé - est celui de chrétiens de la diaspora et de l’intérieur qui ont lancé ces derniers jours un appel au Pape Benoît XVI, relayé sur Facebook par "La révolution syrienne - Coordination Al-Juljulah", une communauté regroupant près de 8000 adhérents. Sous le mot d’ordre : "une révolution pour tous les Syriens", elle affiche le credo suivant : "Le vrai chrétien ne se tait pas devant l’oppression et la tuerie, voilà pourquoi il est au cœur de la révolution".

Fay BEDRANE © Huffington Post (France)

Fay Bedrane est interprète dans des conférences internationales, de nationalité syrienne.

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