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Analyses

Pourquoi les rebelles houthistes défient le pouvoir au Yémen

.: le 19 janvier 2015

Dans cet article, les journalistes politiques Christophe Ayad et François-Xavier Trégan nous livrent une analyse complète et nuancée de la situation géopolitique du Yémen, où s’affrontent de multiples acteurs locaux et régionaux depuis le départ forcé du président Saleh en 2012.

De violents affrontements ont éclaté, lundi 19 janvier au matin, aux abords du palais présidentiel à Sanaa, forçant de nombreux habitants à quitter le secteur. Les miliciens houthistes – du nom de leur chef Abdel Malik Al-Houthi, du groupe Ansar Allah – ont déployé des renforts dans le quartier, jusqu’ici contrôlé par la garde présidentielle au service du chef de l’Etat, Abed Rabbo Mansoour Hadi. Lundi après-midi, ils ont affirmé avoir pris le contrôle d’une colline stratégique surplombant le siège de la présidence. Les combattants houthistes ont même ouvert le feu sur un convoi automobile transportant le premier ministre, Khaled Bahah, à un point de contrôle, a indiqué la ministre de l’information Nadia Al-Sakka, en dénonçant « une tentative de coup d’Etat ». La Ligue arabe a de son côté appelé « toutes les forces politiques à cesser complètement et immédiatement toute forme de violence et à respecter les autorités légitimes du pays ».

En milieu de journée, un cessez-le-feu a été décrété entre miliciens houthistes et gardes du palais à Sanaa. Une trêve décidée lors d’une réunion avec le président Hadi, les ministres de l’intérieur et de la défense et un représentant des rebelles.

Qui sont les rebelles houthistes ?

Au nom de la lutte contre la corruption et d’une certaine conception de la moralisation de la vie politique, les miliciens houthistes du groupe Ansar Allah se sont imposés en quelques mois comme les nouveaux maîtres du Yémen. Partis du nord du pays, ils ont progressé par étapes jusqu’à la capitale, où ils sont entrés en septembre 2014.

Des affrontements ont éclaté lundi près du palais présidentiel à Sanaa où la puissante milice chiite d’Ansaruallah tente de renforcer son emprise sur la capitale yéménite et d’obtenir des modifications à un projet de Constitution.

La rebellion houthiste n’est cependant pas nouvelle. Elle s’était déjà illustrée contre l’ancien régime du président déchu Ali Saleh. De 2004 à 2010, dans leur province de Saada, les houthistes ont violemment combattu l’armée yéménite au prix de bilans humains très lourds. Les partisans de Hussein Al-Houthi, le père de la rébellion, avaient pris les armes pour dénoncer leur marginalisation politique et religieuse par le pouvoir central.

De confession zaydite, une branche du chiisme, comme environ un tiers de la population, les houthistes étaient suspectés de promouvoir le retour de la monarchie. Dix ans et six guerres plus tard, Abdel Malik a succédé à son frère, tué au combat. Ses hommes ont quitté leur province frontalière de l’Arabie saoudite pour se poser en recours, trois ans après la chute du président Saleh dont ils sont désormais les alliés.

Pourquoi les houthistes se posent-ils en recours ?

Depuis la démission du président Ali Abdallah Saleh en 2011, sous la pression conjuguée d’une partie du peuple et de la communauté internationale, son successeur Abed Rabbo Mansoour Hadi n’est jamais parvenu à stabiliser la situation, ni à éradiquer le terrorisme, ni à enrayer le chômage, ni à stopper le sabotage des installations pétrolières et électriques par des bandes armées. Pour Saleh Al-Samat, le président du Conseil politique d’Ansar Allah, les houthistes se posent aujourd’hui en recours : « Nous poursuivons la révolution des jeunes de 2011 qui a été confisquée par les partis politiques. Nous sommes en guerre contre les corrompus et les terroristes, contre tous ceux qui se sont emparés des outils de l’Etat pour servir leurs propres intérêts. C’est pour ça que tout le monde a soutenu notre mouvement révolutionnaire, habitants, forces armées, facilitant notre accès à Sanaa le 21 septembre 2014. »

Un positionnement qui ne convainc pas tout le monde. « Il s’agit d’un coup de force, rien de plus », selon Nadia Abdallah, une révolutionnaire historique de 2011. Dépitée, elle observe un spectaculaire retour en arrière. « Les houthistes s’attaquent aux partisans de la révolution de 2011 à travers une alliance avec l’ancien régime, dont [l’ex-président] Ali Abdallah Saleh. Ils imposent les leurs dans les institutions de l’Etat. Ils veulent lutter contre la corruption, mais sans passer par la loi et la justice ! Ils remplacent des corrompus par d’autres corrompus. L’Etat a été détruit, la révolution de 2011 est terminée et mon pays s’engouffre dans l’obscurité. »

A qui profite l’avancée des houthistes ?

Depuis la prise de la capitale par les miliciens houthistes du groupe Ansar Allah, en septembre 2014, l’ancien président Ali Saleh semble goûter une nouvelle jeunesse. Peu importe que les Nations unies l’aient placé sous sanctions en l’accusant de « compromettre la paix », ou que la Suisse ait décidé le gel de ses avoirs. Fort de l’immunité qui lui a été accordée dans son pays, Ali Saleh préside encore aux destinées de son parti, le Congrès populaire général (CPG). Et grâce à son alliance avec les miliciens houthistes d’Ansar Allah, qu’il avait pourtant combattus quand il était au pouvoir, il dispose désormais d’un redoutable bras armé pour faire taire tous ses opposants, et notamment ceux qui ont obtenu sa démission forcée. Voire pour préparer le retour aux affaires de son clan, même si les ex-ennemis cohabitent avec discrétion.

Contesté dans la rue, le président Saleh avait fini par accepter de quitter le pouvoir en novembre 2011. Trois ans après sa démission, les portraits d’Ali Abdallah Saleh n’ont pas quitté les murs de la capitale. Ils ont simplement vieilli sous l’effet du temps. Mais les houthistes insistent « sur le soutien populaire énorme dont bénéficie toujours Saleh ».

Arrivé au pouvoir en 1978, d’abord dans le Nord, puis sur l’ensemble du pays après la réunification avec le Sud de mai 1990, Ali Saleh avait pourtant joué en permanence du clientélisme, de la prédation et d’un tribalisme encore très vivace, quitte à instrumentaliser le radicalisme religieux à son profit. Avec ses 26 millions d’habitants, le Yémen est devenu l’un des Etats plus pauvres parmi les pays arabes. La pénurie d’eau y est dramatique alors qu’une grande partie de la population, encore rurale, vit de la culture et du commerce du qat, une plante euphorisante très prisée.

Quels sont les soutiens des houthistes ?

Ansar Allah est soupçonné, de longue date, de bénéficier du soutien financier et militaire de Téhéran, au nom d’une solidarité « interchiite ». Saleh Al-Samat, le président du Conseil politique d’Ansar Allah, récuse en bloc : « Nous n’avons pas de vrai partenariat ni de relations particulières avec l’Iran. Mais nous partageons un point commun avec le Hezbollah : la lutte contre la politique américaine dans la région. » Cependant, des sources yéménites et iraniennes ont récemment reconnu la présence sur place de plusieurs conseillers militaires iraniens et le soutien en armes et en argent de Téhéran aux miliciens houthistes. Ces transferts se seraient accélérés depuis la spectaculaire prise de Sanaa par Ansar Allah en septembre 2014.

Le soutien de l’Iran chiite aux houthistes exaspère le voisin sunnite saoudien et avive les tensions confessionnelles au Yémen, même entre sunnites et zaydites. Dans ce contexte, la branche yéméno-saoudienne d’Al-Qaida (AQPA) n’est cependant pas en reste. La « révolution yéménite » de 2011 a permis à AQPA de profiter du chaos politique pour débuter une rapide conquête territoriale. Du printemps 2011 à l’été 2012, l’organisation – qui se présente sous le nom d’Ansar Al-Charia (« les partisans de la charia ») – a pris possession de plusieurs districts du Sud et de l’Est, faisant du Yémen une bombe à retardement au sud de la péninsule Arabique. Et un foyer djihadiste en mesure de frapper en dehors des frontières du pays, comme l’attentat perpétré par les frères Kouachi contre Charlie Hebdo l’a démontré le 7 janvier à Paris. Une attaque revendiquée par l’AQPA.

Christophe AYAD et François-Xavier TREGAN © Le Monde (France)

Christophe AYAD est rédacteur en chef de la rubrique International du journal Le Monde. François-Xavier TREGAN est journaliste dans le même journal.

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