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Analyses

Pourquoi le Hamas reste une équation insoluble pour Israël

.: le 10 juillet 2015

Lina Kennouche, journaliste libanaise à l’Orient Le Jour, explique les conclusions à tirer de l’opération "Bordure israélienne" de l’été 2014, stratégiques et politiques, en donnant la parole à Michel Goya et Alain Gresh.

Lancée à l’été 2014, l’opération israélienne « Bordure protectrice » contre Gaza a duré 50 jours. Mais, lors de cette opération, l’offensive terrestre n’a en réalité duré que 18 jours. Le gouvernement israélien a reculé le 3 août face aux conséquences qu’entraînerait une bataille prolongée dans une zone urbaine densément peuplée face à une résistance de plus en plus aguerrie. À l’instar de la guerre de 2006 au Liban, les objectifs n’ont pas réellement été atteints.

Pour le colonel Michel Goya, chef du bureau de recherche au Centre de doctrine et d’emploi des forces de l’armée de terre française, enseignant et écrivain, une analyse militaire du conflit montre que « l’impact de la campagne de frappes sur les capacités militaires du Hamas a été faible. Ce dernier a renforcé ses capacités défensives pour se protéger des frappes aériennes. Le Hamas est également parvenu à mener des opérations offensives par le biais d’une quarantaine de tunnels, et en se dotant d’armes longue distance comme un arsenal de roquettes à longue portée, les M-75 et Fajr 5 (80 km de portée), et surtout les M-302 ou les R-160 susceptibles de frapper à plus de 150 km. Elles ont été fournies par l’Iran et la Libye au moment où les Frères musulmans étaient au pouvoir ». Selon lui, le Hamas a élevé son niveau tactique et développé ses capacités de combat rapproché en appliquant la même doctrine militaire et en mettant en œuvre les mêmes procédés de furtivité terrestre que les combattants du Hezbollah.

C’est donc l’innovation tactique et l’élaboration des méthodes de combat en zone confinée à l’aide de missiles antichars, avec une portée de 5 500 m, et la mobilisation des forces d’élite qui ont fait la singularité d’une opération ayant infligé de lourdes pertes dans les rangs de l’armée israélienne : « 66 soldats en 49 jours de combat. Ces pertes israéliennes se rapprochent de celles subies lors de la guerre de 2006 contre le Hezbollah (119 morts pour 33 jours de combat), alors considérée comme un échec. Les pertes des Palestiniens ont été supérieures mais certainement pas dans le rapport de 10 pour 1 revendiqué par Tsahal », explique Michel Goya qui relève que le concept israélien d’emploi des forces est identique depuis dix ans. « Ces innovations ont permis aux forces du Hamas, à l’instar du Hezbollah et peut-être de l’État islamique, de franchir un seuil qualitatif et d’accéder au statut de "techno-guérilla" », précise Michel Goya. Il semble donc qu’il n’y ait pas eu de changement notoire depuis 2006 du côté israélien dans les techniques de combat au sol. Si l’armée israélienne a renforcé son entraînement, sa technologie, notamment le tir à distance, elle fait face aux mêmes difficultés sur un champ de bataille en zone urbaine à pied d’égalité avec les forces de la résistance.

Échec du 2e objectif

Dans l’incapacité de lancer une offensive décisive impliquant une intervention au sol et des pertes extrêmement élevées pour venir à bout de la résistance armée sans garantie aucune, Israël maintient la politique de la "punition" collective. C’est en effet une constante que l’on retrouve dans les opérations précédentes : renforcer la pression sur les Gazaouis pour affaiblir politiquement le Hamas et le couper de sa base populaire. Mais pour Alain Gresh, spécialiste du Moyen-Orient et auteur notamment du livre De quoi la Palestine est-elle le nom ?, les résultats de cette politique sont sans effets sur la mobilisation autour du Hamas en période de guerre. « La lutte contre Israël a été le fait de toutes les organisations palestiniennes, toutes les factions comme le Front populaire, le Front démocratique et le Jihad ont pris part aux combats. Il est important de souligner que, malgré sa gestion contestable de la bande de Gaza, le Hamas dispose d’un soutien populaire face à l’agression israélienne », explique Alain Gresh. Le Hamas bénéficie également d’une proximité idéologique avec d’autres organisations et la légitimité de la lutte armée.

Force psychologique

Le prochain round sera sans doute plus difficile pour Israël. Michel Goya rappelle que si aujourd’hui « le Hamas est militairement affaibli et que le ravitaillement s’est raréfié depuis le coup d’État en Égypte, il n’y a cependant là rien de décisif ». D’après lui, si les capacités offensives du Hamas ont été affaiblies, les capacités défensives sont toujours importantes, tout comme la force psychologique des combattants qui reste une dimension importante dans une guerre. D’un autre côté, si Israël peut renforcer la barrière terrestre autour de Gaza en mobilisant la technologie en matière de détection de tunnels et en améliorant son système de défense antiaérien « Dôme de fer », ces développements présentent une efficacité limitée dans les combats rapprochés au sol où la mobilité et la furtivité restent centrales.

Alain Gresh relève donc que la gestion de Gaza reste une question très difficile pour le gouvernement israélien, « qui voudrait s’en débarrasser soit en confiant cette gestion à l’Égypte, ou pour reprendre l’expression d’Isaac Rabin en jetant cette bande de territoire dans la mer. Il n’y a pas de véritable stratégie militaire à l’égard de Gaza, tout comme il n’y a pas de vraie stratégie politique à l’égard de la question palestinienne en général ». D’un autre côté, le spécialiste insiste sur la grande division des forces palestiniennes et la crise de stratégie de l’autorité du Hamas, qui apparaissent peu crédibles pour la population. « Aujourd’hui, le retour à l’unité n’est pas probable, les forces régionales s’y opposent et il n’y a aucune perspective politique ou diplomatique qui favorise une forme de statu quo. Un an après Gaza, on est toujours dans la même situation de division politique, et malheureusement on ne voit pas aujourd’hui ce qui pourrait recréer l’unité de la lutte. C’est une impasse », conclut Alain Gresh.

Lina KENNOUCHE © L’Orient Le Jour (Liban)

Lina Kennouche est une journaliste libanaise, elle travaille sur les questions politiques.

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