Nucléaire en Iran, dernier jour des négociations : il est urgent de lever les sanctions.: le 7 juillet 2015
Dans un article pour le Nouvel Observateur, Oliver Hanne, spécialiste en géopolitique de l’Islam, revient sur la crise du "nucléaire iranien", depuis son commencement en détaillant ce qu’elle a impliqué économiquement pour les occidentaux et pour les iraniens.
L’histoire du nucléaire iranien remonte au Shah Mohammed Reza (1941-1979), qui voulut doter le pays d’un programme civil, avec l’accord des États-Unis. Soutenu par la rente pétrolière, Siemens commença la construction de réacteurs à Bouchehr, la France fournissant l’uranium enrichi via l’entreprise Eurodif.
Une politique de sanctions unilatérale
Mais la Révolution de 1979, puis la guerre contre l’Irak (1980-1988) ne permirent pas à l’Iran de faire aboutir le projet. Après l’affaire des otages de l’ambassade américaine à Téhéran (1979-1981), les États-Unis gelèrent les comptes de l’État iranien (mais non des particuliers ni des entreprises) sur leur territoire et se lancèrent dans une politique de sanctions unilatérale.
Après la fin de la guerre en 1988, l’Iran voulut relancer son projet nucléaire en l’associant à une dimension militaire, notamment en direction des États-Unis et d’Israël. Mais il s’agissait plus d’une déclaration d’intention que d’une programmation réelle, en raison du coût de l’entreprise et des risques de frappes aériennes occidentales sur les centrales concernées.
Ahmadinejad et les premières sanctions financières
Après une première crise sur le nucléaire iranien en juin 2003, l’élection en juin 2005 du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, qui affirma que l’énergie nucléaire était un droit de l’Iran, relança le conflit. Il opposa une fin de non-recevoir aux exigences des pays occidentaux sur l’enrichissement d’uranium à des fins militaires.
En 2006, une crise diplomatique majeure convainquit les puissances occidentales qu’il fallait bloquer le programme, même dans sa dimension civile. Le 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité de l’ONU votait la résolution 1737, imposant des sanctions visant à briser les possibilités matérielles et financières d’enrichissement d’uranium par l’Iran.
Bientôt, toute une batterie de décisions contraignantes s’ajoutèrent à celle-ci (résolutions 1747, 1803, 1835, etc) afin de circonscrire et interdire le financement direct ou indirect de l’activité nucléaire. L’Union européenne, fortement poussée par les États-Unis, suivit ces dispositions et les adapta sur ses territoires.
Le blocage des banques iraniennes en Europe
À partir de l’année 2008, l’UE chargea les États membres de veiller au contrôle strict des mouvements financiers vers l’Iran, notamment pour tout ce qui concernait les matériels sensibles ou susceptibles d’aider à la prolifération nucléaire. On alla plus loin, en mettant sur une liste noire tous les organes officiels iraniens concernés, même indirectement par l’industrie du nucléaire, puis tous les actifs personnels des dirigeants des centres militaires ou industriels, suspendant aussi leurs visas.
Le gouvernement iranien ne montrant aucun effort sur le dossier nucléaire, on gela alors les activités financières et commerciales de la banque nationale (BMI, dite Melli), la banque de l’État iranien et de ses succursales en Europe, ainsi que les actifs de la Sephah, la banque des Pasdarans. On jugula tous les circuits financiers liés à ces institutions, à leurs divers organes et à leurs activités. Enfin, ce fut le tour des banques commerciales en Europe : Mellat-Bank (Londres), Saderat (Paris) et Tejarat(Paris).
Les sanctions renforcées
Au fur et à mesure que l’action diplomatique échouait, les sanctions se renforcèrent, jusqu’à empêcher tout mouvement de capitaux vers l’Iran. En 2012, on se rendit compte qu’une partie des flux commerciaux pouvait encore transiter via les compagnies aériennes et maritimes nationales, comme Shipping Iran.
À leur tour, elles furent aussi mises sous embargo. Mais puisque les marchandises pouvaient aussi être prises en charge par des entreprises étrangères, on interdit aux compagnies d’assurances de couvrir les frets à destination de l’Iran, le pays ne trouvant plus alors de transporteurs internationaux.
Enfin, toujours en 2012, on bloqua le SWIFT ( le Système international de transfert financier codé, indispensable pour tous les établissements de crédit du monde), à destination de l’Iran. Dès lors, le pays était réellement et efficacement paralysé pour tous ses échanges internationaux, du moins avec les États appliquant les résolutions de l’ONU et de l’UE.
Pour parachever cette situation, la condamnation en juin 2014 de la filiale suisse de BNP-Paribas à 8,9 milliards de dollars d’amende par la justice américaine pour non-respect des règles d’embargo avec l’Iran et Cuba, entraîna les derniers partenaires européens de Téhéran à suspendre toute opération ou à dénoncer leurs contrats pour éviter de subir les foudres des États-Unis où ils avaient eux-mêmes des intérêts. Cette affaire acheva de rigidifier la muraille autour de l’Iran.
Une méthode sans failles ?
L’ambition par Washington de bloquer tout matériel destiné à l’industrie iranienne, même non-nucléaire, avait quelque chose d’irréaliste, puisque le moindre matériel dont l’un des composants était produit aux États-Unis aurait dû être contrôlé et interdit, ce qui revenait à empêcher notamment les ventes de tous les processeurs pour PC et serveurs internet. Il aurait fallu aussi vérifier la composition de tous les frigos, téléviseurs ou grille-pains !
Côté européen, les prétextes employés par les institutions communautaires ont parfois été à la limite du contentieux. Les entreprises et les banques iraniennes les plus touchées menèrent des actions auprès de la Cour européenne de justice, non pour critiquer les sanctions elles-mêmes – l’UE agissant comme souveraine dans ce domaine – mais pour dénoncer leur formulation et les vices de procédure. Enfin, et c’est sans doute le plus important, aucun contrôleur de l’UE n’a pu démontrer que les banques bloquées en Europe avaient participé de près ou de loin au financement d’une activité nucléaire, quelle qu’elles soient.
Des résultats contestables pour l’Iran et l’Europe
Les diplomates de l’UE n’ont pas eu, avant 2012, de vision d’ensemble des activités financières iraniennes et des besoins de sanctions. En réalité, après chaque décision, on se rendait compte quelques mois plus tard de la formidable capacité d’adaptation des banques et des importateurs iraniens qui parvenaient à trouver des solutions pour leurs transferts.
Dès 2008, la France a appliqué les sanctions à la lettre et a suivi toutes les règles décidées. Le volume des exportations françaises vers l’Iran, qui se montait à 4,5 milliards de dollars avant cette année, s’effondra. Les entreprises françaises virent leurs activités réduites au minimum, comme Renault ou Peugeot, fournisseur historique en Iran de pièces détachées.
On interrompit les grands projets hydrauliques, industriels et aéronautiques (par exemple Airbus). Entre 2008 et 2014, tous les réseaux commerciaux anciens furent mis en sommeil et les contrats français repris par des exportateurs indiens, chinois et russes, qui sont les grands gagnants des sanctions économiques. Les investisseurs européens mettront plusieurs années à reconstruire les tissus relationnels et économiques perdus.
Le peuple iranien directement touché
Le peuple iranien est lui aussi le perdant de ces années noires. L’embargo développa des marchés et des circuits parallèles, incontrôlables et toujours propices aux mafias.
Des marchandises et des pièces furent importées via les pays du Golfe ou la Turquie. Téhéran ne manqua donc jamais de 4x4 rutilants pour sa riche bourgeoisie proche du régime.
Iran Air ne pouvant plus s’approvisionner en fioul en Europe, la compagnie fit des escales dans des pays peu contrôlés ou ne respectant pas les sanctions, comme la Bulgarie. Le marché noir industriel et logistique fit la fortune d’intermédiaires peu recommandables, aux dépens des populations, touchées par l’inflation des biens de consommation et même des produits alimentaires dont Ahmadinejad avait voulu plafonner les prix, en vain.
Une situation qui profite à la Chine et à l’Inde
L’élection de Hassan Rohani en juin 2013 changea brutalement la donne et relança les négociations sur le nucléaire civil. Parallèlement, on fit quelques gestes en faveur d’une reprise des activités économiques iraniennes dans le monde.
Mais en réalité, les circuits demeuraient paralysés tant que le SWIFT n’était pas rétabli et tant que les succursales européennes des banques iraniennes n’avaient pas le pouvoir de relancer leurs canaux financiers. Ces deux décisions sont encore attendues et pourraient être prises à l’automne 2015. En raison de cette impossibilité, la levée partielle de l’embargo sur le pétrole à l’été 2014 profita essentiellement à la Chine et à l’Inde qui purent acheter du pétrole aux Iraniens, bien obligés de concéder des décotes de 20 à 30% sur les barils.
Un bilan plus que mitigé
Après huit ans de blocage bancaire et financier, les sanctions ont eu, de toute évidence, un effet mitigé. Certes, elles ont contribué à un ensemble de facteurs ayant conduit le régime de Téhéran à négocier, qui a fait bien plus de concessions en 2015 qu’il n’aurait acceptées en 2007.
Mais on ne peut détacher cette évolution d’un contexte plus général : la lassitude générale des Iraniens, usés par une inflation supérieure à 20% par an, l’essoufflement économique, la présidence de Rohani, l’isolationnisme d’Obama, le danger représenté dans la région par l’État islamique, les concurrences internes au régime (la nouvelle équipe gouvernementale ayant besoin d’une victoire symbolique pour s’imposer). Enfin, avec ses 77 millions d’habitants, sa forte diaspora en Amérique du Nord et en Europe, ses réservoirs d’hydrocarbures, et une situation de concurrence féroce dans tous les pays-ateliers du monde, l’Iran fait figure d’Eldorado pour les investisseurs en manque d’aventure et de bénéfices.
Beaucoup de cadres iraniens sont occidentalisés, polyglottes, ont de la famille à l’étranger, détenant parfois deux passeports, et pourront jouer sur leurs réseaux pour relancer les affaires. L’Afrique et le Moyen-Orient sont devenus répulsifs pour des raisons sécuritaires, tandis qu’une République islamique d’Iran réintégrée dans le concert des nations peut être considérée comme une destination sûre et sous contrôle.
Sans parler des vastes possibilités pour le tourisme international. On évoque déjà la création d’un parc de loisirs sur le thème de Persépolis.
Il était temps pour tout le monde que les sanctions soient levées…
Oliver HANNE © Le Nouvel Observateur (France)
Oliver Hanne est agrégé et docteur en histoire, arabophone et islamologue il est chercheur aux Ecoles militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.