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Analyses

Nouri Saïd, le défenseur haï du royaume hachémite d’Irak

.: le 21 août 2017

L’Orient-Le Jour en a choisi quinze individus qui ont écrit la destinée de leur pays ou de leur région. Leurs histoires feront l’objet de portraits, à raison de cinq par semaine, pendant trois semaines. Samia Medawar nous présente le premier, Nouri Saïd, le défenseur détesté du royaume hachémite d’Irak.

Il fut quatorze fois Premier ministre, entre le 23 mars 1930 et le 1er mai 1958. Aujourd’hui considéré comme l’un des fondateurs de l’Irak actuel, Nouri Saïd fut profondément haï par une grande partie des Irakiens. Issu d’une famille sunnite de la classe moyenne de Bagdad, alors sous la coupe de l’Empire ottoman en 1888, d’un père comptable au service de l’empire, Nouri Saïd fait ses études dans cette ville avant d’obtenir un diplôme d’un collège militaire d’Istanbul en 1906 et de devenir officier. Il combat à plusieurs reprises pour l’Empire ottoman, comme en Libye – à l’époque appelée Tripolitaine –, où il se bat contre les occupants italiens. D’après plusieurs témoignages de ses proches, il combat également en Crimée contre l’armée russe, toujours en tant qu’officier ottoman. Il rentre en Irak seul et parcourt la majeure partie du voyage à pied. Il épouse la cause nationaliste arabe pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir été capturé et détenu en Égypte par les Britanniques ; il participe alors, aux côtés de Laurence d’Arabie, à la grande révolte arabe (1916-1918), lancée par Hussein ben Ali, chérif de la Mecque, et son fils l’émir Fayçal, pour libérer la péninsule Arabique de l’Empire ottoman.

À la fin de la Première Guerre mondiale, Nouri Saïd fait déjà partie d’une élite politique émergente. Devenu un fidèle de l’émir Fayçal, il participe pendant la révolte à la prise de Damas aux Ottomans. Il suit l’émir lorsque ce dernier est contraint à l’exil en 1920, avant de devenir roi d’Irak l’année suivante. C’est en 1922 que Nouri Saïd accède au premier poste qui lui confère de réels pouvoirs : directeur général des forces de police irakiennes. À cette époque déjà, il prend l’habitude, qui lui restera jusqu’à ses derniers jours, de placer des proches à des postes-clés, consolidant ainsi sa base politique. En 1924, alors que le mandat britannique commence officiellement en Irak, le roi Fayçal le nomme commandant en chef adjoint de l’armée. Là encore, il s’entoure d’hommes de confiance et gagne en puissance, alors que l’influence royale semble faiblir. Dès lors, les relations entre les deux hommes commencent à se détériorer.

Les minorités, une question déjà sensible

Colérique, violent, ferme, dur, intransigeant, borné. Les qualificatifs ne manquent pas, pour définir Nouri Saïd. Tout en étant reconnu comme un diplomate hors pair par certains, il est peu enclin à accepter les critiques et finira par se venger, d’une manière ou d’une autre, de ses détracteurs. D’après plusieurs témoignages de proches, la psychologie tient une place importante dans sa politique : l’une de ses méthodes préférées consistait à envoyer des signaux contradictoires à ses interlocuteurs, pour les déstabiliser et les prendre de court par la suite.

Lorsqu’il devient Premier ministre pour la première fois en 1930, l’une de ses premières initiatives fut de signer le traité anglo-irakien trois mois plus tard, malgré les critiques qui fusent. L’idée est de paver la voie à l’indépendance du royaume hachémite d’Irak, prévue en 1932 à la fin du mandat britannique, et à l’entrée, la même année, de l’Irak à la Société des Nations (SDN, ancêtre de l’ONU). Il faut dire que le Royaume-Uni ne se mêle plus ouvertement de politique intérieure, mais conserve d’importants intérêts militaires et commerciaux dans le royaume. Tout se passe comme prévu et l’Irak est le premier pays arabe à entrer dans la SDN.

À l’époque déjà, la question des minorités se pose en Irak. Sunnites et chiites s’opposent fortement, et Kurdes et Assyriens souhaitent leur propre État autonome. La crise assyrienne éclate durant l’été 1933, conduisant au massacre de plusieurs milliers d’Assyriens par le gouvernement irakien. Deux ans plus tard, ce sera au tour des Kurdes de se révolter, mais ils seront tués eux aussi par milliers par l’armée irakienne. Lorsque le roi Fayçal meurt en septembre 1933, son fils Ghazi lui succède. La mort suspecte de ce dernier en 1939 sera attribuée à Nouri Saïd. Son règne sera parsemé de crises politiques et sociales. Nouri Saïd est remplacé, pour moins d’un an, par Yassine el-Hachemi. Malgré ses différentes fonctions (notamment en tant que ministre des Affaires étrangères au début des années 1940) au sein du gouvernement irakien, Nouri Saïd n’est jamais bien loin des arcanes du pouvoir, grâce aux liens tissés avec les Britanniques.

Pour nombre d’historiens, cette politique probritannique de Saïd contribua à développer le pays, ses infrastructures, ses institutions. Plusieurs villages isolés eurent droit à l’eau courante et à l’électricité, devinrent accessibles par de meilleures routes et la construction de ponts. Une armée nationale, des écoles primaires et secondaires furent créées.

Mais ces actions sont vivement critiquées et la situation économique est devenue plus que mauvaise. L’Office du développement créé par les Anglais a mis en route des travaux d’une telle envergure que la fragile économie irakienne ne tient pas. En quelques années, la situation devient désastreuse. L’inflation galopante, le chômage qui touche plus de 60 % de la population, ainsi que la cherté de vie contribuent à alimenter la colère de la population, excédée par les ingérences britanniques persistantes. Plusieurs crises et coups d’État contribuent à déstabiliser davantage le royaume hachémite. À tel point qu’une guerre de quelques semaines éclate et fait plusieurs milliers de morts au printemps 1941 entre le Royaume-Uni et l’Irak, dont le Premier ministre Rachid Ali el-Gaylani cherche un rapprochement avec l’Allemagne nazie. Les Britanniques gagnent cette manche et s’ancrent davantage dans le pays, alimentant le ressentiment local.

Après Israël

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays est exsangue. La signature d’un nouveau traité anglo-irakien, élaboré entre autres par Nouri Saïd et signé en 1948, pousse les gens à manifester dans les rues de Bagdad. Violemment réprimées, les manifestations contribuent néanmoins au retrait du traité. Au cours des années suivantes, l’État d’Israël est créé, la première guerre israélo-arabe intervient et Gamal Abdel Nasser accède au pouvoir en Égypte par un coup d’État, en 1952. La politique résolument pro-occidentale du gouvernement irakien donne lieu à des émeutes, encore et toujours réprimées dans le sang. Lorsque la crise du canal de Suez éclate en octobre 1956, et qu’Israël, la France et la Grande-Bretagne attaquent l’Égypte, qui s’est entre-temps rapprochée de l’Union soviétique, Nouri Saïd jubile. À tel point qu’il demande à la radio irakienne nationale de faire passer une chanson d’amour chantée par Ragaa Abdo, écrite par Mohammad Abdel Wahab, al-Bostagiyye shtako men kotrat marasili (les facteurs se plaignent de l’abondance de mes lettres) : le père de Gamal Abdel Nasser était postier, et le Premier ministre irakien s’en moque presque ouvertement. Mais l’opinion de la rue le pousse à condamner officiellement l’expédition de Suez et à prendre parti pour l’Égypte.

La proclamation le 1er février 1958 de la République arabe unie – liant l’Égypte et la Syrie – provoque la création de la Fédération arabe d’Irak et de Jordanie deux semaines plus tard, avec pour Premier ministre… Nouri Saïd. Cette fusion des deux royaumes hachémites prendra fin cinq mois plus tard, avec un coup d’État militaire initié par l’officier irakien Abdel Karim Kassem le 14 juillet.

Pourchassé par les auteurs du coup, Nouri Saïd se cache pendant plusieurs jours, fuyant d’une maison à l’autre, accueilli par les quelques amis qui lui restent fidèles, alors qu’une récompense est offerte pour sa capture. Déguisé en femme, il porte des chaussures d’homme qui le trahiront.

Les versions diffèrent quant au sort qui fut le sien. Certains affirment qu’il fut abattu de plusieurs balles par son propre aide de camp Wasfi Taher ; d’autres sources racontent en revanche que lorsqu’il se retrouva cerné par une foule meurtrière, il se suicida pour éviter la torture et un sort similaire à celui d’Abdel Ilah, ancien régent assassiné et dont le corps fut traîné dans les rues de Bagdad, coupé en morceaux et brûlé. Enterré à la va-vite par les auteurs du coup, le corps de Nouri Saïd est quand même déterré par une foule en colère, traîné dans les rues de Bagdad, jusqu’à l’ambassade d’Égypte, où l’ambassadeur a fait une apparition publique pour célébrer l’événement. Le chef de la police irakienne Taher Yahya plaça son corps sur la route et fit passer un char par- dessus à plusieurs reprises, avant de le brûler. Ses restes furent disséminés sur un pont de Bagdad pour que les automobilistes continuent de rouler dessus.

Samia MEDAWAR © L’Orient-Le Jour (Liban)

Samia Medawar est journaliste à L’Orient-Le Jour.

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