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Analyses

Moyen-Orient : la guerre sunnite-chiite n’aura pas lieu

.: le 4 août 2017

Roland Hureaux revient sur la rivalité entre les deux grandes branches de l’Islam et explique en quoi elle ne peut qu’en partie justifier la permanence des conflits.

Ceux qui veulent se donner un air d’expert dans les affaires du Proche-Orient ne manquent pas d’invoquer, pour expliquer les conflits actuels, l’opposition millénaire des sunnites et des chiites. Ce disant, ils font reposer la responsabilité des conflits qui ensanglantent cette région sur les indigènes, tenus pour des « sauvages », exonérant celle des puissances occidentales, dont les ingérences ont pourtant joué un rôle déterminant à l’origine de la plupart des conflits. Ils donnent aussi une importance exagérée à l’opposition des sunnites et des chiites. Sans doute cette opposition entre les deux versions historiques de l’Islam joue-t-elle un rôle important dans des pays comme le Liban, l’Irak ou le Yémen.

La même religion

Il reste qu’il s’agit d’un clivage qu’il ne faut pas forcer : sunnites et chiites sont d’accord sur l’essentiel : le Coran, la révélation, les prescriptions morales. Les uns et les autres vont en pèlerinage à La Mecque. Ils ne divergent pas sur des questions théologiques ou éthiques, seulement sur des questions généalogiques et politiques, s’agissant de déterminer quels furent les successeurs les plus légitimes du prophète à la tête du nouvel empire musulman qui se constitua au VIIe siècle. Les sunnites tiennent pour son beau-père Abou Bakr et la suite des premiers califes ; les chiites pour son gendre Ali et ses successeurs.

Des différences dans l’organisation sociale existent aussi : les mollahs ont plus d’importance dans l’islam chiite mais cela peut s’expliquer par le fait que l’Arabe, langue du Coran, langue étrangère pour les Iraniens, nécessite des docteurs à même de le comprendre, alors que dans le monde arabe, il est plus facile au peuple d’avoir un accès direct au texte sacré, écrit dans une langue proche de la sienne.

La guerre Iran-Irak et ses suites

Revenons cependant aux conflits récents : le plus terrible a sans doute été la guerre Iran-Irak de 1980-1988, où l’Irak a vaincu grâce à l’appui des puissances occidentales. Elle opposait le régime irakien de Saddam Hussein, sunnite, à celui des ayatollahs iraniens, chiites. Or la population de l’Irak est composée de 60 % de chiites qui n’ont pas renâclé à l’effort de guerre. De même les sunnites d’Iran, moins nombreux, ont suivi leur gouvernement. La contrainte de fer à laquelle les uns et les autres étaient soumis n’explique pas tout : les premiers se sont comportés en Arabes, les seconds en Perses, laissant de côté les considérations religieuses. La déliquescence de l’Irak après la guerre de 2003 a fait resurgir le clivage entre les sunnites du nord (séparés des Kurdes, également sunnites mais absolument pas solidaires des Arabes sunnites) et les chiites du centre et du sud. En imposant la règle de la majorité, les Américains ont amené au pouvoir un gouvernement chiite : ils sont ainsi les premiers responsables de la constitution d’un « arc chiite » : Iran, Irak, Syrie, Liban (dominé militairement par le Hezbollah chiite), ressenti comme une menace par l’Arabie saoudite, la Jordanie, Israël, voire la Turquie. Si Daech, qui est apparu en 2014 au nord de la Mésopotamie est exclusivement sunnite, la coalition qui vient de le déloger de Mossoul comportait, outre les Occidentaux, l’armée irakienne, aujourd’hui dominée par les chiites, des Kurdes et des Arabes sunnites.

Yémen, Liban, Syrie

Au Yémen, le mouvement houthi qui s’appuie sur l’Iran représente une branche particulière du chiisme. Cependant dans sa lutte contre un gouvernent sunnite soutenu par l’Arabie saoudite, il s’est allié aux milices de l’ancien président sunnite Ali Abdallah Saleh qui veut revenir au pouvoir. Au Liban, le chaos de la guerre civile a permis l’émergence d’une milice dominante, le Hezbollah, chiite. Celle-ci est alliée à d’autres forces comme les chrétiens fidèles au général Aoun, actuel président de la République. C’est en Syrie que le clivage sunnite /chiite induit en erreur beaucoup d’observateurs. 75 % de la population est sunnite. Or il s’en faut de beaucoup pour que les milices sunnites qui luttent contre le gouvernement Assad aient leur soutien. Il ne suffit pas en effet d’être sunnite pour accepter le régime étouffant et rétrograde que veut imposer l’Etat islamique, surtout dans un pays où les femmes ont toujours été plus libres que dans le reste du monde arabe. Une partie des sunnites soutient un gouvernement où ils sont largement représentés. De vrais chiites, il n’y en a que très peu en Syrie. Assad se rattache aux alaouites qui forment une espèce de secte gnostique à l’intérieur de l’islam, plus proche à certains égards du christianisme que de l’islam chiite. Sa femme est sunnite, il va régulièrement à la grande mosquée de Damas, sunnite. L’alliance d’Assad avec le régime iranien est tout entière politique et non confessionnelle.

Et si l’on élargit le spectre, on voit sans peine que l’Algérie, entièrement sunnite, soutient le gouvernement syrien. L’Iran chiite soutient le Hamas sunnite. L’Egypte sunnite (pour la partie musulmane) soutient ouvertement les forces gouvernementales sunnites au Yémen, mais aussi, discrètement, la Syrie, etc.

Une rivalité de puissances

Reste la grande question de l’affrontement Arabie Saoudite-Iran, où certains voient celui d’une puissance sunnite et d’une puissance chiite ; Israël qui considère l’Iran comme une menace (pas parce qu’il est chiite, car l’Iran était son allié au temps du shah et dans la guerre de 1980) à sa sécurité en raison de ses projets nucléaires et surtout à son hégémonie régionale, a conclu une alliance étroite avec l’Arabie saoudite, appuyée sur les Etats-Unis. Les émirats du Golfe, dont la cohésion est menacée par de fortes minorités, voire des majorités chiites exclues du pouvoir, sont pris entre deux feux, le Qatar venant d’essuyer des remontrances sévères de Ryad au sujet des liens qu’il avait gardés avec l’Iran. Mais supposons que l’Iran ait été sunnite : qui peut douter que deux puissances militaires comme l’Iran et l‘Arabie, situées de part et d’autre du Golfe persique dont on connait l’importance stratégique et la richesse en hydrocarbures, ne soient pas de toutes façons en position de rivalité ? Un peu comme le sont le Maroc et l’Algérie, tous deux sunnites. Il est peut-être plus décisif de savoir que les Iraniens sont des indo-européens et les Arabes des sémites. L’Arabie est elle-même menacée par une minorité chiite importante dans la région pétrolifère. La principauté d’Oman, qui n’est ni sunnite, ni chiite mais ibadite, se tient prudemment à l’écart de ces conflits.

La rivalité entre les deux grandes branches de l’islam n’est donc qu’un des facteurs qui expliquent la permanence des confits. Le principal demeure la rivalité de puissances, Etats-Unis et maintenant Russie.

Roland HUREAUX © Causeurs (France)

Roland Hureaux est essayiste.

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