Manifeste pour une zone démilitarisée et multiethnique.: le 1er novembre 2014
Dans cet article paru dans The Daily Star, un philosophe syrien et un juriste libanais présentent un projet de zone pacifiée en Syrie, incluant aussi bien les Kurdes que les Arabes sunnites ou alaouites. Une zone qui pourrait servir de modèle pour un avenir non violent.
Pour combattre l’extrémisme, nous devons retirer de la scène politique ceux qui ont fait de la Syrie et de l’Irak un terrain de choix pour les crimes contre l’humanité. La liste inclut le président syrien Bachar El-Assad, l’Etat islamique (EI) et la plupart des groupes islamistes.
Pour combattre le communautarisme, nous devons reconnaître le très conflictuel héritage du Moyen-Orient, dans lequel les minorités réagissent selon leur identité communautaire dès qu’elles se sentent menacées.
En Irak, le Premier ministre Nouri Al-Maliki a fini par quitter le pouvoir. Ses positions communautaristes ont été un terreau fertile pour la rébellion dans les régions à majorité sunnite du pays. La prochaine étape pour libérer Mossoul du contrôle de l’EI consistera à soutenir la population locale et à coopérer étroitement avec elle. C’est ce qui a été fait de 2007 à 2009, et qui a permis de réunifier l’Irak jusqu’à ce que Al-Maliki s’engage sur une voie autoritaire.
Zone d’exclusion
La situation en Syrie est plus compliquée, mais l’Irak connaîtra un nouvel échec si le volet syrien de la stratégie n’est pas correctement traité. C’est ici que de nouvelles idées s’imposent. Assad – comme Al-Maliki – étant le problème, il peut difficilement être une partie de la solution. La base de pouvoir de Bachar El-Assad est formée essentiellement par la communauté alaouite, qui redoute de voir un sunnite, quel qu’il soit, s’emparer du pouvoir. C’est ici qu’il convient d’introduire le chaînon manquant de cette stratégie internationale confuse.
Le gouvernement turc a exprimé son intention d’étudier la création de zones de sécurité, ou "zones pacifiées", en Syrie. Lorsqu’on se penche sur la carte du nord du pays, on constate qu’une zone d’exclusion peut être créée aux abords du 36e parallèle. Elle pourrait s’étendre le long de la frontière turco-syrienne et inclure Alep, Raqqa, les régions kurdes syriennes à l’est, et une bonne partie du secteur alaouite côté Méditerranée.
Si la coalition dirigée par les Etats-Unis est disposée à prendre cette option au sérieux, elle doit également appliquer cette idée aux alaouites en les incluant dans ces zones afin de les protéger en cas d’effondrement du régime d’Assad.
Refléter la diversité
Cela aurait le mérite de montrer que l’intervention étrangère n’est pas communautariste et que les régions alaouites ne vont pas devenir la cible de représailles massives [de la part des sunnites]. C’est la raison pour laquelle les zones d’exclusion en général doivent refléter toute la diversité de la société syrienne, afin de servir de modèle pour l’avenir.
En ce qui concerne les régions kurdes syriennes, Massoud Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan d’Irak, et Fouad Massoum, le nouveau président kurde de l’Irak, devront participer activement à ce projet. Cependant, le plus grand défi sera d’inclure les alaouites dans cette zone. Ce ne sera pas simple, et c’est même impossible aujourd’hui.
Une nouvelle option, non violente
Mais beaucoup de personnalités alaouites ont été victimes du cruel régime baasiste. Plus important, les alaouites ont perdu beaucoup des leurs dans le conflit syrien. Presque chaque famille a eu au moins un mort à déplorer depuis le début des hostilités en 2011. L’un des principaux objectifs de la création d’une zone de sécurité serait de mettre fin aux souffrances de cette communauté, qui a perdu au moins un cinquième de ses hommes âgés de 16 à 50 ans.
La zone peut être créée graduellement et reproduite ailleurs, en particulier au sud du 33e parallèle, le long de la frontière jordanienne, et peut-être un jour le long de la frontière libanaise, pour permettre à la majorité des réfugiés syriens de rentrer chez eux.
Quand l’EI ainsi que l’armée et les milices d’Assad ne pourront plus pénétrer dans ces zones, vers lesquelles graviteront les civils et les réfugiés, la perspective d’une autre option que la dictature de Damas et le djihadisme sanguinaire deviendra réaliste. Ces zones, où les Syriens seront à l’abri, devraient porter le germe d’un avenir non violent.
Sadek JALAL AL-AZM et Chibli MALLAT © The Daily Star (Liban)
Sadek Jalal al-Azm est un philosophe syrien et Chibli Mallat est un juriste libanais.