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Liban : la mémoire pour dénoncer les crimes du présent

.: le 22 septembre 2008

Le chrétien Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises et figure politique de la majorité antisyrienne, a demandé pardon aux Libanais pour les atrocités commises par son parti durant la guerre civile. L’Orient-Le Jour salue ce geste rarissime dans les annales du Liban.

Voir un chef politique demander pardon pour toutes les erreurs et abominations commises par son courant durant la guerre, voilà une scène que l’on croyait tout bonnement impossible en Orient en général et au Liban en particulier. Qui plus est par les temps qui courent, ceux du messianisme galopant, où, entre les victoires d’inspiration divine et la multiplication des "patriarches" communautaires dans la vie politique, il ne reste plus beaucoup de place pour l’erreur ; humaine, trop humaine… D’autant que, au Liban, demander pardon à la société des individus paraît impensable : non seulement le zaim[chef], infaillible, a toujours raison, mais, même s’il a tort, sa "dignité", sa position de figure charismatique, sa vanité l’empêchent de le reconnaître, et il faut donc continuer à le suivre jusqu’au bout, même dans l’erreur.

Par conséquent, demander pardon, dans la mentalité politique libanaise, c’est s’avilir devant l’autre, rompre avec la tradition très orientale du qabaday [chef de bande qui s’impose dans un quartier], révéler – comme c’est choquant ! – ses faiblesses. Mais ces faiblesses peuvent aussi devenir la plus grande des puissances. Dans la foulée de l’intifada de l’indépendance [manifestations organisées après l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, et réclamant le retrait syrien], Walid Joumblatt [chef de la communauté druze et du Parti socialiste] avait fait le geste rarissime et exceptionnel d’une autocritique publique. Initiative demeurée, depuis, solitaire, unique. Cependant, cette initiative venait s’inscrire dans un cadre harmonieux, celui du printemps de Beyrouth, qui était, entre autres, une dynamique de réconciliation pour tourner la page de la guerre.

Cependant, jamais leader n’a eu l’audace, dans l’histoire contemporaine du Liban, d’entreprendre ce que Samir Geagea a fait le dimanche 21 septembre à Jounieh [ville chrétienne située au nord de Beyrouth] : demander pardon devant une foule pour se libérer définitivement du passé dans une expiation collective. L’événement est d’autant plus extraordinaire que la foule a applaudi les propos du chef, comme si elle était elle-même dans l’attente de cette délivrance collective. Le plus surprenant est que ce geste, à la fois humaniste et éminemment politique, provient de celui qui continue de représenter pour beaucoup l’archétype même du seigneur de la guerre ; celui que l’on représente comme une figure restée figée dans les treillis du souvenir ; celui à qui l’on refuse de pardonner, qui garde l’image du mauvais sujet non repenti, quand bien même il a été le seul à croupir dans les prisons et à ne pas jouir des lois de l’amnistie amnésique des chefs. Il convient d’ailleurs de souligner qu’il s’agit là du premier chef politique chrétien à présenter des excuses aux Libanais pour les atrocités commises – et de son propre chef, sans commission de réconciliation, de vérité ou de justice, sans autre pression que celle, morale, de l’opinion publique.

C’est justement là que la "faiblesse" se transforme en "puissance". Il s’agit de la faiblesse de celui qui reconnaît ses torts pour ôter une arme d’entre les mains de ceux qui l’incriminent, le diabolisent et le vouent aux gémonies. Le pardon fonctionne ici comme un exutoire qui vient laver les péchés pour mieux renvoyer les autres à leur propre souillure. Mais le plus important, dans ce retour aux tréfonds de la mémoire, reste l’usage qui en est fait, positif, loin du réveil meurtrier. Ici, la mémoire a pour fonction de dénoncer les fourberies assassines du présent, dans un élan de réconciliation pour l’avenir, et non pas de réveiller les démons des dissensions internes, dans une réclusion sur le passé. Le geste de Samir Geagea a de quoi interpeller dans la mesure où il est totalement inhabituel. Il reste à savoir si les Libanais en général, et les chrétiens en particulier, voudront vraiment se pencher sur cette nouveauté du genre, celle qui consiste pour un responsable à leur demander pardon.

Michel HAJJI GEORGIOU © L’Orient-Le Jour

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