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Analyses

Les libertés égyptiennes plus que jamais à la dérive

.: le 13 juillet 2017

Dans cet article, Pierre Goullencourt s’appuie sur son entretien avec Karim Bitar, directeur de recherche de l’IRIS, pour analyser la montée de l’autoritarisme en Egypte.

D’après l’Association pour la liberté de pensée et d’expression, une ONG qui recense les fermetures de sites sur internet, plus de 120 sites, chiffre en constante augmentation, sont devenus inaccessibles par les internautes égyptiens depuis le 24 mai 2017. Cinq jours plus tard, une loi visant à encadrer l’activité des ONG a été promulguée, condamnant à la disparition les associations de défense des droits de l’homme. Les arrestations des opposants sont également monnaie courante : une manifestation prévue par l’opposition contre la décision du Parlement d’approuver la rétrocession de deux îles à l’Arabie saoudite a vu, à la mi-juin 2017, des dizaines de militants rejoindre nombre d’activistes déjà en prison. Les dérives autoritaires du chef d’État égyptien s’intensifient, à une année de l’élection présidentielle à laquelle il sera, sauf coup de théâtre, candidat.

Un autoritarisme croissant

Abdel Fattah al-Sissi s’impose désormais en homme fort du régime, en dépit des droits et des libertés publiques des Égyptiens. Avec l’autoritarisme croissant du chef d’État semblent s’évanouir les espoirs en matière de droits de l’homme portés par la révolution de la société civile égyptienne de 2011 ; non sans rappeler l’état du pays sous Hosni Moubarak. « Sur tous les plans, le régime de Sissi est un régime beaucoup plus autoritaire que celui de Moubarak », affirme Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient. Si la libéralisation de la presse avait caractérisé la dernière décennie du règne d’Hosni Moubarak, dictateur égyptien de 1981 à 2011, M. Sissi semble prendre désormais le contrepied de son prédécesseur. En cause peut-être, l’essoufflement du culte de la personnalité du président qui avait véritablement marqué les premières années de son mandat.

« Nous sommes bel et bien dans une consolidation autoritaire, une volonté délibérée du pouvoir égyptien de museler la société civile, de paralyser tous les contre-pouvoirs », explique M. Bitar. Et la recrudescence de la censure observée dans le pays confirme la volonté politique d’instaurer un monopole étatique sur les médias. Au classement mondial de la liberté de la presse 2017 publié par Reporters sans frontières (RSF), l’Égypte se range à la 161e place sur 180. Faire taire les critiques sur les échecs du président Sissi, tel semble être l’objectif du Caire. Pour mémoire, l’Égypte met en place un conseil pour surveiller les médias.

L’alibi de l’état d’urgence

Autant sur le plan économique que diplomatique et sécuritaire, le bilan et les décisions politiques du chef de l’État déçoivent. Depuis décembre 2016, plus de cent chrétiens égyptiens sont morts dans des attaques du groupe État islamique sur le territoire, résultant en une perte de confiance de la société civile envers le pouvoir politique. C’est au nom de la « sécurité internationale » que la société civile égyptienne voit aujourd’hui ses libertés publiques se réduire de nouveau. Le retour à l’état d’urgence après l’attentat du dimanche des Rameaux en Égypte en avril n’a fait que rappeler les cicatrices du règne Moubarak, avec qui la mesure était restée en vigueur dans le pays de 1981 à 2012, octroyant tous les pouvoirs à l’ancien président.

« Au nom de cet état d’urgence et de cette guerre contre le terrorisme, on est en train de faire taire toutes les voix discordantes », indique Karim Bitar. La mise en place de l’état d’urgence permet ainsi à M. Sissi d’asseoir son pouvoir. « L’état d’urgence, la guerre contre le terrorisme, le climat international qui est celui d’un retour à l’autoritarisme sont du pain béni pour le maréchal Sissi », ajoute le chercheur.

Mains libres

Si un rappel à l’ordre des puissances étrangères semblerait pertinent, Donald Trump au contraire ne tarit pas d’éloges sur son homologue égyptien. « On a le sentiment parfois qu’il y a une sorte de préférence occidentale pour l’autoritarisme arabe », déplore Karim Bitar. Coopérer sur le plan de la lutte contre le terrorisme constituant une priorité absolue sur la scène internationale, certains dirigeants ont les mains libres dans l’espace politique qui leur est propre.

La politique étrangère menée par l’homme fort du Caire satisfaisant ses alliés internationaux, notamment sur la question d’Israël, pas question d’interférer dans ses affaires. Pourtant, la situation nationale pourrait rapidement dégénérer. « Si cette faillite politique, économique et sécuritaire se poursuit, si l’Égypte ne parvient pas à redresser son économie, n’arrive pas à venir à bout de ces quelques centaines de militants djihadistes dans le Sinaï, si l’Égypte ne parvient pas à redonner un tant soit peu d’espoir à une population qui est très appauvrie, il ne faudra pas s’étonner de voir à nouveau dans un ou deux ans la colère populaire s’exprimer », conclut Karim Bitar.

Pierre GOULLENCOURT © L’Orient-Le Jour (Liban)

Pierre Goullencourt est journaliste pour L’Orient-Le Jour

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