ACCUEIL
ORGANISATION
COMMUNIQUES
RAPPORTS
ANALYSES
EVENEMENTS
REACTIONS
CONTACT
 
NEWSLETTER
Analyses

Le sultanat d’Oman discret dans la crise du Golfe

.: le 3 juillet 2017

Dans cet article, Julie Kebbi analyse la politique de diplomatie tranquille du sultanat d’Oman dans le cadre de la crise du Golfe.

Alors que la crise du Golfe opposant le Qatar au camp prosaoudien entame sa quatrième semaine, Oman, petit sultanat voisin, est dans la retenue sur le sujet. Conformément à sa politique de diplomatie tranquille et contrairement aux autres États du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Mascate – à l’instar du Koweït – n’a pas choisi de suivre Riyad, le meneur du blocus. Considéré comme trop proche de l’Iran et accusé de financer le « terrorisme », le richissime émirat qatari est mis sous quarantaine par ses voisins.

Mais Oman ne semble pas l’entendre de cette oreille. Une semaine après le début de la crise le 5 juin, le sultanat ouvrait deux voies maritimes avec le Qatar par le biais des ports de Sohar et Salalah. Quelques jours plus tard, la compagnie aérienne Oman Air annonçait aussi l’augmentation du nombre de ses vols à destination et en provenance de Doha, torpillant ainsi en partie le blocus des compagnies aériennes de ses voisins. Depuis, et avec l’aide de l’Iran également, Doha peut contourner le blocus imposé par ses voisins pour importer ou exporter des biens et des produits alimentaires.

Continuité diplomatique

Le petit pays à majorité ibadite (troisième branche de l’islam née après le schisme entre sunnites et chiites), s’est toujours trouvé dans un entre-deux dans la péninsule Arabique. Fort de cet atout, Mascate entretient des relations économiques et diplomatiques tant avec les membres du CCG qu’avec Téhéran. Lors du conflit entre l’Irak et l’Iran au cours des années 80, le petit sultanat avait refusé de prendre parti. Le sultan Qabous, au pouvoir depuis 1970, décide par la suite de rester neutre lorsque l’Arabie saoudite va prendre en mars 2015 la tête d’une coalition visant à soutenir le président Abed Rabbo Mansour Hadi contre les rebelles chiites houthis au Yémen. Oman ira même jusqu’à héberger les négociations entre les États-Unis et l’Iran sur le nucléaire en 2014. Autant d’événements qui lui ont permis d’acquérir la réputation de médiateur par excellence pour arbitrer les conflits de la région. « Il y a donc une certaine logique dans le fait de ne pas forcément suivre l’Arabie saoudite » sur la question qatarie, explique Brigitte Dumortier, professeure à la Sorbonne Paris IV et directrice d’étude à la Sorbonne Abou Dhabi. « Il faut également prendre en compte la personnalité du sultan Qabous qui est le dernier d’une génération pronégociation dans le Golfe, à la différence de la nouvelle génération au pouvoir, plus jeune et plus pressée d’en découdre », ajoute-t-elle.

Différents intérêts en jeu

En s’affichant plus ouvertement aux côtés du Qatar et de l’Iran, Mascate refuse d’endosser cette fois-ci le rôle de médiateur. A contrario, c’est le Koweït qui s’est publiquement placé en tant qu’arbitre ces dernières semaines. Le petit émirat a multiplié les appels au dialogue et à résoudre le conflit entre frères du Golfe, sans ingérence extérieure. « Le silence d’Oman en dit long lorsque l’on connaît la position du sultanat dans la guerre froide entre l’Arabie saoudite et l’Iran », observe Alexandre Kazerouni, chercheur à l’École normale supérieure (ENS) et auteur du livre Le miroir des cheikhs (Presses universitaires de France, 2017). « En adoptant la même attitude que l’Iran à l’égard du Qatar, c’est une désapprobation manifeste du blocus », note-t-il. Et pour cause, le petit sultanat a toujours cherché à échapper à la main puissante et envahissante de Riyad.

À la différence des crises régionales précédentes, de nouveaux éléments sont à prendre en compte : l’élection de Donald Trump qui a renforcé le soutien américain à l’Arabie saoudite ou encore l’ascension de Mohammad ben Salmane. Ces éléments changent la dynamique régionale entre les pétromonarchies alors que le modéré iranien, Hassan Rohani, vient d’être réélu en mai dernier. Dans cette configuration, « Oman joue ses propres cartes en adoptant la même attitude que Téhéran pour conforter sa politique de neutralité », souligne Brigitte Dumortier. Oman craint certainement que la mise au ban du Qatar soit un message adressé à tous ceux qui, tel le sultanat, refuseraient de s’aligner sur les positions saoudiennes. Mais cette stratégie n’est pas exempte de conséquences alors que les pays du Golfe cherchent la meilleure alternative possible pour préserver leurs intérêts. « La crise fait tomber le voile et laisse entrevoir la complexité de l’ordre régional préexistant » modelé par l’Iran et l’Arabie saoudite, estime Alexandre Kazerouni.

Chaque partie joue de son réseau alentour et en Occident pour consolider ses alliances dans un environnement où les tensions ne cessent de croître un peu plus chaque semaine. Alors que des fissures se dessinent clairement entre le Koweït, Oman et les pays arabes voisins, « nous sommes peut-être en train d’assister à la fin du Conseil de coopération du Golfe », conclut le chercheur.

Julie KEBBI © L’Orient-Le Jour (Liban)

Julie Kebbi est journaliste à L’Orient-Le Jour.

Anglais Français Arabe Persan Turc Hébreu Kurde