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Analyses

Le rôle de l’Egypte dans le conflit à Gaza

.: le 22 juillet 2014

Dans cet article, publié sur le site Huffington Post, Corinne Lepage analyse l’influence de l’Égypte sur le conflit qui oppose Israël au Hamas.

On ne peut que comprendre et partager l’émotion parfaitement justifiées par les images des victimes civiles de Gaza. Car ces populations sont doublement victimes dans la mesure où elles sont tout d’abord utilisées comme boucliers humains par le Hamas, qui a même cherché à les convaincre de rester chez elles quand Tsahal leur demandait de partir pour ne pas risquer leurs vies. Certes, il parait évident d’accuser Israël qui envoie les bombes sur les hôpitaux et tue des enfants en oubliant les roquettes tirées par le Hamas qui visent aussi les civils. Mais pour ceux qui veulent bien faire l’effort d’essayer de comprendre, il faut remonter aux racines du conflit et aux causes immédiates de la situation.

Le blocus de la bande de Gaza a été décidé le 14 juin 2007 par le gouvernement israélien, suite à la prise de contrôle du Hamas de ce territoire, après sa victoire électorale de 2006 et le déchirement avec le Fatah. La résolution 1860 du 8 janvier 2009 du Conseil de sécurité de l’ONU permet à l’aide humanitaire, vivres comprises, au carburant ainsi qu’aux traitements médicaux d’être distribués sans entrave dans tout Gaza - en insistant sur la prévention du trafic d’armes et de munitions. Le point de passage de Rafah a été réouvert en 2010. Suite au printemps arabe et au renversement d’Hosni Moubarak, le voisin égyptien de la bande de Gaza passe alors sous contrôle des Frères musulmans qui soutiennent ouvertement le Hamas et contournent le blocus israélien notamment sur les armes.

Le Hamas dispose alors des moyens de contrôler la population gazaouite grâce à l’accès aux denrées dans la bande de Gaza. Après le renversement de Morsi et la reprise en main par les militaires, la situation entre le Hamas et l’Egypte se dégrade. Le nouveau pouvoir égyptien lutte contre les tunnels d’approvisionnement illégaux de l’Egypte vers Gaza. Dans le même temps, les sources d’argent sale (notamment du marché noir) se tarissent pour le Hamas avec par capillarité le risque de ne pouvoir faire face à une révolte de la population gazaouite, prise en étau du fait de la fermeture des tunnels vers l’Egypte.

De son côté, le gouvernement israélien a connu en 2013 une redéfinition des cartes électorales avec une débâcle de la coalition au pouvoir. Kadima, 1er parti en 2009 (centre), passe de 28 sièges à 2 sièges. Quant au Likoud (alliée avec une frange nettement moins modérée de la droite Israel Beiteinu depuis 2012) formation de Benyamin Netanyahou, il perd 12 sièges et les mouvements ultra-religieux comme d’extrême droite progressent sans discontinuer dans le pays au détriment du centre. Si un nouveau mouvement du centre s’est créé avec d’autres priorités pour Israël, créant la surprise en ravissant 19 sièges, force est de constater que le rapport de force est plus à droite avec une velléité extensionniste et sécuritaire.

L’odieux assassinat de 3 jeunes israéliens est alors un détonateur enflammant la poudrière. Les roquettes du Hamas sont alors tournées vers les populations israéliennes et s’abattent sur des populations civiles qui bénéficient des forces de défense israélienne pour lutter contre les assauts du Hamas. La vengeance des ultras se traduira par un assassinat tout aussi odieux d’un jeune palestinien.

L’affrontement entre les islamistes et les militaires en Egypte, puis la victoire de ces derniers a conduit de facto à l’isolement du Hamas. Il suffit de voir la presse gouvernementale égyptienne pour se convaincre que l’occupation de Gaza est faite par le Hamas et non par Israël. Cet isolement conduit le Hamas à chercher légitimité et reconnaissance de la population sans pouvoir utiliser l’approvisionnement de la contrebande. La réaction du gouvernement israélien pourrait être toute autre, sauf qu’avec un électorat israélien de plus en plus droitier et face aux roquettes tirées de Gaza, Netanyahou s’est engagé dans une spirale destructrice.

Ceci explique le refus du Hamas pour respecter la trêve et cesser le feu car il n’y a d’autre solution que l’affrontement. Ainsi, en essayant de faire le plus de victimes civiles possibles, Israël apparaît comme le seul responsable et par voie de conséquence voué aux gémonies par l’opinion publique mondiale. Ceci explique également la poursuite de l’armée israélienne, notamment pour détruire les tunnels qui permettent les incursions du Hamas en Israël et pour permettre à Benjamin Netanyahou de ne pas se faire dépasser par sa droite.

Alors comment sortir de cette ornière ?

La situation diplomatique et politique est d’autant plus délicate que ce conflit s’inscrit dans le conflit plus général qui oppose les forces islamistes entre elles (sunnites et chiites) et qui oppose les intégristes islamistes, dont la violence à l’égard des autres religions (voire les chrétiens d’Irak) n’a d’égal que celle faite aux femmes (lapidation récente d’une femme en Syrie) et au reste du monde.

Le monde danse aujourd’hui sur un volcan dont le conflit au Proche-Orient est certainement un symbole puissant parce qu’il met en jeu l’État juif contre le Hamas et donc contre une organisation islamiste ; mais le sujet est infiniment plus large. Pour le Proche-Orient, on ne peut que souhaiter un cessez-le-feu le plus immédiat possible mais qui évidemment appelle l’accord des deux parties. Au-delà, la situation de Gaza est intenable tant que le Hamas, qui est aujourd’hui menacé puisque non soutenu par l’Égypte maintiendra son emprise sur Gaza. L’avenir ne peut être que celui de deux États qui se reconnaissent mutuellement et se garantissent réciproquement leur sécurité. Y parvenir implique que des changements se produisent sur le plan politique à Gaza, ce que la situation égyptienne permettrait. Le Hamas le sait. Et c’est une des raisons profondes de l’embrasement actuel. Mais Israël doit comprendre aussi que la spirale de la violence n’est pas une solution, qu’il ne peut gagner ainsi ni la paix contre l’opinion publique mondiale, ni sa crédibilité internationale en se laissant aussi facilement piéger par l’arme médiatique que le Hamas lui a tendu.

Corinne LEPAGE © Huffington Post (France)

L’auteur, qui a été ministre de l’Environnement sous Chirac, est désormais députée européenne.

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