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Analyses

Le printemps de la bulle

.: le 10 août 2012

Dans cet article, publié dans le journal israélien Ha’Aretz et traduit pour Courrier International, Asher Schechter analyse le mouvement de protestation qui a repris à Tel Aviv.

Ville des artistes et des intellectuels, refuge des laïcs dans un pays où les religieux s’affirment de plus en plus, lieu de tous les plaisirs, Tel-Aviv (“colline du printemps”) est aussi depuis un an en révolte contre les injustices sociales. Un mouvement spontané et inattendu dans un Etat en guerre depuis sa création.

Juste ciel, les Israéliens recommencent ! Il y a un an, des centaines de milliers de citoyens envahissaient les rues de Tel-Aviv, Jérusalem, Beersheba, Haïfa et beaucoup d’autres villes pour protester ; aujourd’hui, sous le soleil de plomb de l’été, ils réclament à nouveau davantage de justice sociale. Mais cette fois, il y a moins de monde dans les rues, la police est beaucoup plus agressive et les manifestants scandent des slogans en faveur de la démocratie.

Après l’explosion de protestations de l’été 2011, des comités se sont réunis, des rapports ont été établis et un certain nombre de mesures ont été prises. Dans le même temps, les dirigeants autoproclamés du soulèvement ont commencé à former des factions rivales. Le mouvement n’a plus fait les gros titres des médias et on l’a cru mort et enterré. A tort, car il est de retour et, cette fois, ni les manifestants ni le gouvernement ne prennent de gants. Même si ses fondateurs se sont inspirés des mouvements sociaux qui ont éclaté de par le monde, le soulèvement israélien a des racines locales. Voici un bref historique de ce mouvement.

Quand le mouvement de protestation a-t-il commencé ?

Officiellement, il a vu le jour le 14 juillet 2011, quand Daphni Leef, une vidéaste de 25 ans, a dressé les premières tentes sur le boulevard Rothschild, à Tel-Aviv, où le prix du logement avait atteint des niveaux records. Pour l’organiser, elle a été aidée par quelques jeunes qui l’ont rejointe après son appel diffusé sur Facebook une semaine plus tôt. La dizaine d’Israéliens qui ont lancé le mouvement ne se sont rencontrés pour la première fois que cinq jours avant le début de l’opération.

D’aucuns font remonter les débuts du mouvement au mois de mai 2011, date d’un autre appel lancé sur Facebook pour protester contre le prix du fromage blanc israélien, qui avait augmenté de plus de 40 % en trois ans, alors que la hausse du lait n’avait pas dépassé 3 %. La réaction du public a été explosive : en un mois, près de 5 000 citoyens ont formé un réseau qui a propulsé la question de la cherté de la vie en Israël aux plus hauts niveaux de l’Etat.

Parallèlement, la “ville des tentes” installée sur le boulevard Rothschild s’est développée à un rythme stupéfiant grâce au soutien massif des médias. En quelques jours, le terre-plein central, jusque-là parfaitement entretenu, de ce boulevard très huppé était recouvert de milliers de tentes, et, quelques jours plus tard, des dizaines de campements étaient installés dans d’autres villes du pays. Le campement du boulevard Rothschild est très vite devenu le plus grand centre de rassemblement de Tel-Aviv ; des dizaines de chanteurs, d’écrivains et de politiciens s’y présentaient tous les jours et les gens y laissaient libre cours à leur mécontentement. C’est ainsi que s’est ouvert l’été des manifestations gigantesques, auxquelles un dixième de la population israélienne pouvait assister en une seule soirée.

Quel a été le détonateur du soulèvement ?

Beaucoup de gens continuent à affirmer que c’est la hausse des prix du logement, et plus précisément des loyers de Tel-Aviv, qui ont augmenté de plus de 40 % entre 2005 et 2011 et qui rivalisent désormais avec ceux de Manhattan et de Londres. Mais ce n’est pas le cas. Les prix immobiliers ont bien poussé Daphni Leef à planter sa tente, mais elle-même reconnaît que l’immobilier était juste l’indice de problèmes beaucoup plus graves : le coût de la vie de plus en plus élevé et les inégalités croissantes au sein de la société.

Comme il l’a déjà été mentionné, le fromage blanc, un aliment de base de la cuisine israélienne, avait augmenté de 40 % en trois ans, alors que la hausse de son coût de production était restée beaucoup plus faible. Accordant leur politique de prix, les trois principaux fabricants du pays avaient affiché sensiblement les mêmes hausses.

Deux mois avant le début du mouvement, les grandes entreprises du secteur alimentaire avaient relevé les prix du bœuf, des produits laitiers, des légumes congelés et des aliments et couches pour bébé. Par ailleurs, depuis des années, les prix de l’immobilier – à la vente comme à la location – avaient augmenté à un rythme accéléré. Mais la courbe des salaires n’avait pas suivi, loin de là, la même évolution que le coût de la vie.

Qui est à la tête du mouvement ?

Personne. A l’instar des soulèvements qui se sont propagés dans le monde l’an dernier, le mouvement israélien n’est pas hiérarchique ; il est horizontal et n’a pas de chef.

Durant l’été 2011, ses principaux instigateurs – Daphni Leef, Stav Shaffir, Regev Contes, Yigal Rambam et quelques autres – étaient considérés comme les leaders du mouvement. Mais en réalité ils ne le contrôlaient pas, car le mouvement était impossible à maîtriser. Leur rôle se limitait à celui de porte-parole. Depuis, la plupart sont retombés dans l’anonymat, même si quelques-uns, en particulier Daphni Leef et Stav Shaffir, continuent d’une certaine manière à montrer la voie.

Que veulent les manifestants ? Qu’est-ce que la “justice sociale” ?

C’est la grande question. Chacun a sa propre définition de la justice sociale et de ce que l’Etat doit faire pour combler les disparités croissantes et infléchir le coût de la vie.

Pour certains, la réponse consiste à en finir avec la concentration économique, à démanteler les grands conglomérats et à imposer la loi de la concurrence. D’autres revendiquent une augmentation des dépenses publiques, moyennant une plus forte imposition des entreprises et des contribuables les plus aisés. D’autres encore réclament un régime social-démocrate, se font les chantres du socialisme ou défendent des idées anarchistes.

Mais les principales revendications sont à peu près les mêmes pour tous : un retour à l’Etat-providence, avec un accroissement des dépenses publiques dans les domaines de la santé et de l’éducation, une réglementation plus stricte des entreprises et des banques, une plus forte imposition des sociétés, une plus grande transparence et des mesures en vue d’éradiquer les inégalités.

Quel a été le moment clé du mouvement ?

La série de manifestations qui ont eu lieu le soir du 3 septembre 2011 à Tel-Aviv et dans d’autres villes du pays. Quelque 500 000 personnes, soit un dixième de la population adulte israélienne, ont participé aux manifestations ce soir-là. Mais le lendemain, Itzik Shmuli, le responsable de l’Union des étudiants israéliens, qui était l’un des dirigeants du mouvement, a annoncé que le syndicat allait se retirer du boulevard Rothschild et des autres campements. En quelques jours, les autorités municipales ont évacué la plupart des campements, hormis ceux qui abritaient des personnes handicapées et des SDF. Celui du boulevard Rothschild est resté en place jusqu’au 3 octobre, après quoi il a été lui aussi démantelé.

Qu’est devenu le mouvement pendant l’hiver ?

Certains disent qu’il est entré en hibernation. En fait, des manifestations se sont déroulées tout au long de l’hiver, mais elles étaient beaucoup moins importantes et ont donné lieu à des affrontements avec la police, qui a commencé à procéder à des arrestations, parfois de manière très brutale. L’hiver a été rude et terriblement décevant pour les militants, qui avaient espéré lancer un autre soulèvement de masse.

L’attention des médias s’est détournée du mouvement. Ses fondateurs ont formé des factions rivales et certains ont commencé à s’insulter en public. Au mois de mai, le mouvement ne regroupait plus que quelques centaines de militants. Il était moribond.

Est-il ressuscité ?

En un sens, oui. Le 23 juin dernier, Daphni Leef, figure de proue du mouvement, et quelques centaines de militants ont à nouveau tenté d’installer des tentes sur le boulevard Rothschild. En quelques minutes, l’“unité de reconnaissance verte” les a arrachées. La jeune militante et onze autres manifestants ont été matraqués et arrêtés.

Les réseaux sociaux ont diffusé une masse de photos et de vidéos sur ces événements ainsi que des messages accusant le gouvernement de tenter d’entraver la liberté d’expression. Le lendemain, en réaction aux brutalités policières, des milliers d’habitants, forçant les barrages de police, ont défilé du boulevard Rothschild à l’hôtel de ville de Tel-Aviv, où ils ont réclamé la démission du maire, Ron Huldai. En scandant le slogan “Démocratie ! Démocratie !” les manifestants se sont rassemblés devant des banques et ont brisé les vitres de l’une d’entre elles. Environ 2 000 personnes ont ensuite bloqué la circulation sur le boulevard périphérique de la ville.

La police a réagi de façon musclée, arrêtant 89 manifestants – beaucoup sous de faux prétextes, comme on l’a appris ultérieurement – et en en matraquant d’autres. Bref, le mouvement est de retour, mais il n’est pas aussi “sympathique” que l’an dernier.

Pourquoi a-t-il repris ?

Parce que rien n’a changé. La situation qui avait fait descendre des milliers d’Israéliens dans la rue l’an dernier ne s’est pas améliorée. En fait, les choses ont empiré, car, à l’exception des téléphones portables, les prix de la plupart des produits et des services ont augmenté. Israël est en passe de connaître un autre été de mécontentement, qui s’annonce beaucoup plus tumultueux que le précédent.

Asher SCHECHTER © Ha’Aretz (Israël), traduction de Courrier International (France)

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