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Analyses

Le marasme syrien désespérant

.: le 29 juin 2011

Dans cet article paru sur le site Internet d’information canadien Cyberpresse.ca, le professeur David Bensoussan analyse la crise politique syrienne.

Au début du XXe siècle, lorsque l’homme malade de l’Europe qu’était l’Empire ottoman devint la convoitise des puissances étrangères, le Moyen Orient n’était connu que par un vague désert nommé la Grande Syrie, peuplé de communautés religieuses. Le Levant désignait alors les régions chrétiennes du Liban, la Judée et la Palestine désignaient la Terre sainte et les Palestiniens désignaient les Juifs qui venaient s’y installer. À coups de grands traits de plume, les puissances se sont partagé le Moyen-Orient. La part du lion revint à l’Angleterre qui chassa les Ottomans de la région. Ibn Saoud devint maître de l’Arabie et évinça les Hachémites qui étaient traditionnellement les émirs de La Mecque. Comme prix de consolation, l’Angleterre offrit à ces derniers un royaume et c’est ainsi que Fayçal devint roi d’Irak en 1921 et son frère Abdallah roi de Jordanie en 1946.

En 1920, la Société des Nations confia à la France le mandat sur le Liban et la Syrie. Le Liban était alors à majorité chrétienne et, tout comme la Syrie, était composé d’une mosaïque de nationalités. Ces deux pays devinrent indépendants en 1943. Peuplée aujourd’hui de 22 millions d’âmes, la Syrie a une majorité sunnite (80%) qui, sur le plan théologique, considère tant les confessions des Alaouites (10%) que les Druzes (2,5%) comme une aberration. Les premiers suivent une religion syncrétique avec une dominance chiite, les seconds se réclament de Jéthro, beau-père de Moïse. Il existe aussi près d’un million de Chrétiens grecs orthodoxes (4,5%) ainsi qu’une importante minorité kurde sunnite dans le nord (10 %). la Syrie est officiellement gouvernée par le parti Baath qui est un parti nationaliste arabe laïque. Mais dans les faits, l’influence de la minorité alaouite est prépondérante dans les postes clef de l’appareil gouvernemental et notamment dans l’armée, depuis l’accession de Hafez Al Assad au pouvoir en 1963.

La dictature syrienne gouverne avec une poigne de fer. Tout comme ce fut le cas sous le régime de Saddam Hussein en Irak, les services du renseignement sont partout et tout celui qui émet des critiques à consonance politique se met en danger. Le régime s’appuie sur les Alaouites, les Chrétiens et les Druzes, soit près du quart de la population. Les chrétiens soutiennent le régime, car ils craignent que la mouvance religieuse sunnite constitue un danger pour eux. La Syrie a été tributaire du soutien des pays arabes pétroliers entre 1973 et 1987, de la tutelle du Liban de 1990 à 2005 puis de l’aide iranienne. Les leviers économiques du régime ont consolidé les dépendances clientélistes de la grande bourgeoisie des villes et n’arrivent pas à masquer l’appauvrissement général des Syriens. Les ennemis du régime sont légion et les Frères musulmans furent écrasés de façon sanglante à Hama en 1982. Par ailleurs, le pouvoir se méfie de la minorité nationale kurde mais a néanmoins promis en de régulariser l’état civil de près de 300 000 apatrides du Kurdistan en 2011. Les Bédouins du désert syrien ont une spécificité propre et, tout comme les Aleppins du Nord, témoignent d’un ressentiment certain à l’endroit du pouvoir central. Les Alaouites luttent âprement pour maintenir leur emprise sur le pays car, s’ils venaient à tomber, la revanche des laissés pour compte risquerait d’être cruelle.

Les observateurs ne s’expliquent pas d’une part l’empressement de l’Occident à pousser le président égyptien Hosni Moubarak à démissionner et à agir avec hâte contre le président libyen Kadhafi, et de l’autre, la manifestation d’un certain engouement envers le président syrien Assad dont il espère des réformes alors même que ce dernier plonge son pays dans la répression sanguinaire. Pourtant, la Syrie joue le jeu de l’Iran, arme de dizaines de milliers de missiles le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza. Les attentats contre les leaders libanais désireux de prendre leur distance vis-à-vis de la Syrie continuent sans entraîner de conséquences fâcheuses. De façon cynique, la Syrie a maintenu une frontière hermétique et calme avec Israël en s’assurant de semer le trouble à la frontière libanaise d’Israël par interposition du Hezbollah.

Le fait que la Syrie joue un jeu serré, mais contrôlé rassure les observateurs qui redoutent des excès potentiels de lendemains incertains sans Assad, quand bien même ce dernier entretient-il savamment la capacité de nuisance de son pays : la Syrie possède un stock de missiles de longue portée armés de gaz létal ; elle déstabilise la frontière irakienne et menace de semer la dissension aux frontières comme cela le fut récemment en poussant des civils à transgresser la frontière d’Israël. Par ailleurs, on soupçonne la Syrie d’être derrière les attentats récents contre les forces de l’ONU au Liban.

La conjoncture internationale contribue à maintenir le statu quo. La Russie arme les forces armées syriennes dont la facture passe aux Iraniens et construit des réacteurs nucléaires en Iran. La Chine a signé des contrats de livraison de gaz iranien et tient aussi à conserver ce marché. C’est la raison pour laquelle la Russie et la Chine ne se prononcent pas contre la Syrie à l’ONU. De son côté, l’Amérique essaie de limiter ses interventions en raison des investissements militaires considérables en Irak et en Afghanistan. L’intervention des forces franco-britanniques en Libye progresse très lentement. Fait nouveau : la Turquie veut s’imposer comme puissance régionale et tient à avoir son mot à dire dans l’évolution géopolitique du Moyen-Orient. Ce recul apparent de l’Occident au Moyen-Orient, combiné aux intérêts des ventes d’armes russes et à l’interventionnisme progressif de la Turquie, relègue de jour en jour la morale à l’arrière-plan des enjeux de la géopolitique.

Le peuple syrien assoiffé de réformes est ainsi abandonné à son propre et triste sort.

David BENSOUSSAN © Cyberpresse.ca (Canada)

L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec, au Canada.

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