La lueur kurde depuis les ténèbres de l’Etat islamique.: le 29 juin 2015
Yaron Friedman, spécialiste de l’islam décrypte ici pour le site d’information Ynet, la place qu’ont pris les Kurdes du fait de l’effondrement des états irakiens et syriens et également les succès militaires de leur armée. Tout ceci représente une lueur d’espoir dans la mesure également où ceux-ci ne sont ni dans le camp de l’Iran khomeyniste ni dans celle de l’Etat islamique.
Les Kurdes symbolisent l’islam modéré, ni chiite de l’Iran et du Hezbollah, ni sunnite des djihadistes
La mort des frontières issues de l’accord "Sykes-Picot" de 1916 au Moyen-Orient est non seulement bénéfique à l’Etat islamique, mais aussi aux Kurdes, qui n’ont pas encore obtenu le droit d’établir YarEtat indépendant. Daesh réussit à faire reculer les armées irakiennes et syriennes, et a découvert des faiblesses chez les Kurdes. Quelle en est la raison ? Les Kurdes sont-ils le remède contre le cancer Daesh ?
Une combattante kurde du village de Aïn Issa (nord de la Syrie) qui était aux mains de Daesh il y a encore quelques jours, a déclaré dans une interview à “Al-Arabiya“ : “Nous sommes la force qui doit protéger le peuple. De notre point de vue,nous ne faisons aucune distinction entre les Kurdes et les Arabes“.
La Syrie vient de vivre quatre années sanglantes. Chacune a été pire que la précédente : la révolte populaire (“printemps arabe“) de 2011 a été brutalement réprimée et s’est transformée en une lutte armée, et les rebelles, divisés, ont commencé à se battre entre eux. Au cours de la deuxième année, les émeutes initiées par les organisations islamistes se sont répandues dans presque tous les territoires contrôlées par l’Armée syrienne libre.
Celles-ci ont alors cessé de fonctionner comme des unités liées les unes aux autres. Lors de la troisième année, les djihadistes de Daesh et de Jabhat al-Nosra ont conquis plus de la moitié des zones contrôlées par les insurgés.
Aujourd’hui, la plupart des territoires de l’opposition sont sous le contrôle de l’Etat islamique à l’est, et sous celui d’al-Nosra à l’ouest. Ici et là, à la frontière avec la Turquie dans le nord et au sud, près du plateau du Golan, on trouve encore des vestiges de l’"Armée syrienne libre".
L’armée laïque commandée par des officiers qui ont déserté l’armée syrienne et agi en coordination avec certains représentants de l’opposition à Ankara, devait transformer la Syrie en un endroit meilleur : un Etat civil et laïc, avec à sa tête un pouvoir qui devait représenter de façon équilibrée tous les segments de la population. Il ne fait aucun doute que la révolution en Syrie, qui a fait boule de neige, s’est transformée une crise qui n’est souhaitable pour personne. D’une lutte populaire, elle est devenue une lutte armée, des protestations de jeunes laïcs, elle est devenue un combat islamique sunnite et religieux, d’une guerre civile, elle est devenu une lutte entre chiites et sunnites.
Les Kurdes : une autonomie grâce à l’instabilité
Aujourd’hui, l’alternative au régime répressif de Bachar al-Assad est pire que tout : un pouvoir de déments qui déforment l’Islam et commettent des crimes et des massacres contre la population. Le triste résultat de ce conflit est que, dans 20% du territoire de la Syrie contrôlé par Assad, se trouvent actuellement environ 70% de la population. Le nombre de morts s’élève à 210.000 et 3,7 millions de réfugiés ont quitté le pays sur 23 millions d’habitants.
Les Kurdes, qui sont environ 30 millions, vivent dans quatre pays - la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak, une réalité qui réduit les chances de voir un jour l’établissement d’un Etat indépendant. Cependant, la chute du régime de Saddam Hussein en Irak, il y a près de 10 ans, et la déstabilisation du régime Assad aujourd’hui, leur a donné une occasion historique de préserver leur autonomie dans le nord de l’Irak et le nord de la Syrie. Ce processus menace la Turquie et l’Iran, où les Kurdes veulent aussi obtenir leur autonomie au sein de ces pays.
L’émergence de l’Etat islamique, même si elle a menacé les Kurdes, leur a aussi offert une nouvelle opportunité. Les Kurdes contrôlent les puits de pétrole, mais ils n’ont pas accès à la mer, ce qui les oblige à prendre en compte les intérêts de la Turquie. Leur entrée au parlement d’Ankara, suite aux dernières élections en Turquie, pourrait renforcer la situation des Kurdes dans les pays voisins.
Le gouvernement irakien est évidemment opposé aux accords pétroliers qui lient les Kurdes à la Turquie, affirmant, en vain, que le pétrole n’appartient pas seulement aux Kurdes. De façon générale, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a de bonnes relations avec les Kurdes, et la vague d’attentats terroristes perpétrée par la résistance kurde (PKK) a même cessé.
Mais de nombreux responsables soupçonnent que le gouvernement d’Erdogan aide Daesh pour affaiblir les Kurdes. Cet argument repose sur l’allégation selon laquelle la plupart des volontaires ont traversé la frontière turque pour gagner l’Etat islamique, et que la Turquie achète du pétrole à l’organisation terroriste pour un prix défiant toute concurrence.
L’émergence de Daesh menace l’existence des Kurdes, tout en les consolidant et en les renforçant. À la lumière des atrocités commises par les djihadistes, de nombreux jeunes Kurdes, hommes et femmes, se sont engagés dans les milices armées, et la menace a contribué à rapprocher les deux dirigeants des deux familles rivales Barzani et Talabani.
Jusqu’à l’année dernière, le gouvernement irakien a empêché les États-Unis et l’Europe d’armer les Kurdes. Mais les défaites de l’armée irakienne, la prise de Mossoul par Daesh et le vol d’armes américaines par l’EI, ont convaincu l’Occident que les armes devaient être fournies directement aux Kurdes.
L’armée victorieuse
La menace existentielle des Kurdes en Syrie, en particulier dans la région de Kobané, et la vague de réfugiés kurdes qui ont fui vers la Turquie, ont convaincu le gouvernement d’Ankara de permettre aux peshmergas (l’armée irakienne kurde) de faire transiter des troupes sur son territoire afin d’aider leurs frères en Syrie. Les peshmergas reçoivent des armes sophistiquées d’Europe, bénéficient d’entraînements et de soutiens dans le domaine du renseignement des États-Unis, et sont entrés dans la coalition américaine contre Daesh.
Dans ce cadre, l’armée kurde a bénéficié du soutien des forces aériennes de la coalition. Par opposition aux défaites humiliantes des armées irakiennes et syriennes, les peshmergas ont prouvé l’année dernière qu’ils sont la seule armée capable de gagner des batailles contre l’EI.
Dans les combats, les Kurdes ont fait preuve de toutes les qualités nécessaires pour parvenir à la victoire : la solidarité et la loyauté, la discipline militaire, le courage, la détermination et le dévouement. Les massacres des Kurdes yézidis par les djihadistes à Sinjar n’ont fait que renforcer la détermination et la volonté des Kurdes à se battre pour leur vie et leur future indépendance.
L’année dernière, les Kurdes ont mis la main sur Kirkouk en Irak, qui est riche en pétrole, et ils ont continué à avancer vers la région de Ninive contrôlée par l’EI. En Syrie, les forces kurdes syriennes ont réussi à libérer Kobané après de longs combats.
Développements dramatiques
Le mois dernier, le combat des Kurdes contre l’Etat islamique en Syrie a connu une avancée majeure. Les peshmergas ont repris des mains de Daesh la ville de Tal Abyad, et des combattants de l’Armée syrienne libre se sont joints à eux. La prise de cette zone est un tournant important dans la guerre contre l’EI. Tal Abyad relie deux provinces kurdes, et ferme l’accès de l’EI à la frontière turque. Ce passage était l’artère principale pour les volontaires djihadistes du monde entier.
Ces derniers jours, les combattants kurdes de l’opposition, avec le soutien de l’opposition modérée arabe, ont pris Aïn Issa, et ils se trouvent aujourd’hui à environ 56 kilomètres de la ville de Raqqa, la capitale de l’EI en Syrie. Cette action a été menée en coordination avec la coalition dirigée par les Etats-Unis, qui a bombardé les djihadistes depuis les airs. Daesh a montré des signes de faiblesse dans la province de Raqqa, et a commencé à arrêter en grand nombre des personnes soupçonnées de faire partie de l’Armée syrienne libre.
La prochaine bataille pour la conquête de Raqqa aura sans aucun doute des répercussions sur l’ensemble de la Syrie. Si l’Etat islamique perd sa capitale syrienne, cela nuira à la motivation de l’organisation et renforcera celle de tous ses adversaires dans le pays.
Les Kurdes sont des musulmans sunnites, représentant un islam modéré, et sont en bons termes avec l’Occident. Le plus grand parti en Irak est démocratique. Les Kurdes ont collaboré par le passé avec différentes armées dans la lutte contre le terrorisme. Dans le passé, les Kurdes ont entretenu de bonnes relations avec Israël.
En 2006, Massoud Barzani, le président du Kurdistan irakien, a déclaré qu’il ne voyait pas de problèmes à l’existence de liens avec Israël. Sur les photos des combattants, on voit de jeunes femmes kurdes qui inspirent et symbolisent l’espoir d’un avenir meilleur, d’une justice et de l’égalité dans les territoires qu’ils contrôleront.
Plus ils seront puissants, plus les forces de l’opposition modérée de l’Armée syrienne libre les rejoindront. Les Kurdes sont désormais le dernier espoir qui peut sortir des ruines de la Syrie pour un Etat sain, qui ne soit ni une région chiite de l’Iran et du Hezbollah, ni un Etat terroriste sunnite soutenu par les faction d’al-Qaïda.
Yaron FRIEDMAN © Ynet (Israël)
Yaron Friedman est professeur spécialiste de l’Islam dans différentes institutions en Israël.