La Russie au Moyen-Orient.: le 29 juin 2009
En marge d’une étude portant sur les relations entre la Russie et l’Orient, Jean-Sylvestre Mongrenier expose les grandes orientations de la politique étrangère de Moscou au Moyen-Orient.
Au Moyen-Orient, les années 1990 ont été marquées par la forte émigration de Juifs russes, vers Israël (environ un million de personnes), ce qui a modifié les rapports de force au plan démographique ; plus du 1/7e de la population israélienne est issue de Russie-Soviétie et de multiples réseaux transnationaux se sont maintenus. Pourtant, la relance de la diplomatie russe dans le monde arabo-musulman, la persistance de liens diplomatico-militaires avec les pays qui composaient le « front du refus » (Syrie, Iran) et les rapports entre Moscou et des mouvements islamistes (Hezbollah, Hamas) ne facilitent par les relations bilatérales. Suite à la guerre russo-géorgienne d’août 2008, Israël a interrompu ses ventes d’armes à Tbilissi (drones, entre autres), à la demande de la Russie qui procède à l’achat de drones israéliens ; en contrepartie, Moscou aurait renoncé à livrer des S-300 (des systèmes anti-aériens modernes) à l’Iran mais la situation reste confuse.
Au cours de son second mandat présidentiel, Vladimir Poutine a de fait cherché à réorienter sa diplomatie en direction du monde arabo-musulman, de manière à poser la Russie en intermédiaire entre les pays de cette aire et les Occidentaux. Arguant de l’ancienne présence de populations musulmanes en Russie (16 millions selon le recensement de 2002), Moscou a demandé à participer aux travaux de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). Vladimir Poutine est le premier chef d’Etat d’un pays non-musulman à participer à un sommet de l’OCI (2003) et depuis, la Russie a été admise comme pays observateur (2005), avec le soutien de l’Iran, de l’Egypte et de l’Arabie saoudite. Lors de la conférence ministérielle de juin 2005, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a défini son pays comme faisant partie du monde musulman (OCI, Sanaa/Yémen, 29 juin 2005). Cette affirmation a été reprise par Vladimir Poutine dans son discours de Riyad (12 février 2007).
La revendication d’un rôle nouveau pour la Russie au Moyen-Orient s’est traduite par la réactivation des « amitiés » héritées de la diplomatie soviétique et un discours empreint de philo-arabisme (voir, en avril 2005, la visite de Vladimir Poutine en Egypte et au siège de la Ligue Arabe). A deux reprises, l’ancien président russe a reçu les dirigeants du Hamas (mars 2006, février 2007) et la Russie est le seul membre du Quartet à s’engager aux côtés de cette organisation définie comme terroriste. Les relations avec la Syrie sont renforcées (Bachar el-Assad est reçu à Moscou en 2005 et 2006) ; la dette syrienne est annulée et divers types d’armement lui sont livrés, au grand dam d’Israël (la vente de missiles Iskander et de S-300 a été envisagée), et des facilités navales (Lattaquié, Tartus) sont accordées. Les relations entre Moscou et Damas sont à mettre en relation avec l’étroit partenariat géopolitique Moscou-Téhéran et l’ambivalence de la Russie dans la crise nucléaire iranienne.
Le soutien apporté par Riyad à Moscou dans l’obtention d’un siège d’observateur à l’OCI souligne par ailleurs les bonnes relations que la Russie s’efforce de développer avec les régimes arabes sunnites du golfe Persique (tournée diplomatique de 2007). La crise irakienne, le souci de l’Arabie saoudite et de l’ensemble des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) de rééquilibrer leur alliance avec les Etats-Unis (quête de réassurances) ont permis de dépasser les inimitiés suscitées par la guerre de Tchétchénie et la diffusion de l’islamisme dans le Nord-Caucase. Dans le Golfe, il faut encore mentionner l’importance des relations avec le Qatar, sur le plan énergétique (mise sur pied d’une troïka gazière, avec l’Iran, et thématique d’une « OPEP du gaz ») ; les Emirat Arabes Unis ne sont pas non plus négligés.
Dans le golfe Persique, la Russie a aussi pour ambition d’ouvrir de nouveaux marchés pour son industrie d’armements (le Moyen-Orient représente 10% des exportations russes), en sus des coopérations énergétiques (nucléaire et hydrocarbures). Au total, la percée russe dans cette zone de force de l’engagement américano-occidental reste limitée et Moscou peine à faire valoir ses atouts en tant que producteur de sécurité et de stabilité (voir son effacement lors des conflits de 2006, au Liban-Sud, et 2008-2009, à Gaza). Il sera aussi difficile de concilier l’approfondissement du partenariat géopolitique Moscou-Téhéran et la consolidation des liens avec les régimes arabes sunnites de la région.
Jean-Sylvestre MONGRENIER © Institut Thomas More (France)
Chercheur associé à l’Institut Thomas More, Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Auteur du Dictionnaire géopolitique de la défense européenne (ed. Unicomm, 2005), de La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme français (ed. Unicomm, 2006), co-auteur de La Russie, de Poutine à Medvedev (Institut Thomas More/DAS, ed. Unicomm, 2008).