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Analyses

La vérité sur le dossier nucléaire iranien

.: le 5 juillet 2007

En dépit des déclarations officielles des dirigeants iraniens insistant sur le caractère civil de leur programme nucléaire, de nombreuses informations démontrent que ce dernier ne répond pas uniquement à un souci d’approvisionnement énergétique, mais à une marche vers la possession de l’arme nucléaire.

Officiellement, les installations nucléaires de Boushehr, près du golfe Persique, représentent la première phase d’un vaste programme civil de production électrique à partir de centrales nucléaires. Les puissances occidentales, mais aussi la Turquie, l’Égypte et les pays arabes du Golfe, craignent que sous couvert d’un programme de recherche civil, Téhéran puisse acquérir suffisamment d’expertise pour se procurer des armes nucléaires. En 2002, une série de révélations a heurté les chancelleries occidentales et modifié leur évaluation de la menace iranienne. Le premier choc est survenu en août 2002, lorsqu’un groupe d’exilés iraniens a révélé que le régime islamique faisait construire des installations permettant l’enrichissement de l’uranium à Natanz (environ 350 km au sud de Téhéran). Lorsque le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, s’est rendu sur le site en février 2003, les installations de Natanz contenaient déjà 160 centrifugeuses fonctionnelles et des pièces pouvant permettre l’assemblage de 1000 autres. En plus, l’Iran a fait construire une usine à Arak, au centre du pays, pour la production d’eau lourde, qui peut certes être utilisée dans certains types de centrales nucléaires, mais qui peut également servir à la production de plutonium. Suite à sa visite, ElBaradei a commencé à s’interroger sur l’utilité pour l’Iran de produire de l’eau lourde, puisque ce pays ne possédait aucune centrale à eau lourde [1].

Dans son rapport de juin 2003, ElBaradei a soulevé une autre question restée ouverte, à savoir l’usage que l’Iran entend faire des deux tonnes d’uranium acheté à la Chine en 1991, dont une partie prenait la forme d’hexafluorure d’uranium (UF6) et de tétrafluorure d’uranium (UF4). L’UF6 est une forme de gaz à partir duquel on peut enrichir l’uranium à l’aide de centrifugeuses. L’AIEA a noté qu’un des cylindres contenant l’UF6 importé pesait 1.9 kg de moins que déclaré, ce à quoi l’Iran a répondu que les quantités manquantes résultaient d’une fuite de cylindres, constatée un an auparavant. D’autre part, la plupart de l’UF4 importé a été converti en uranium métal. Pour l’AIEA, l’usage de cet uranium métal doit être éclairci, puisque aucun des réacteurs dont dispose l’Iran aujourd’hui ne requiert d’uranium métal pour la production d’électricité. Ce questionnement est lourd de conséquences, vu que l’uranium métal est essentiellement employé dans la fabrication d’armes nucléaires.

Il est toutefois difficile d’accuser l’Iran de ne pas avoir respecté ses engagements internationaux sur la question nucléaire. Le Traité de non-prolifération (TNP) permet aux États signataires de développer leur capacité nucléaire, à usage civil, tant qu’ils permettent à l’AIEA d’effectuer des inspections de leurs installations. Sous couvert de ce traité, un État peut néanmoins développer une formidable capacité nucléaire, qui peut ensuite être facilement détournée vers un usage militaire s’il se retire du traité. L’Iran affirme développer son programme nucléaire en vue d’atteindre l’autonomie dans l’alimentation de ses centrales nucléaires. Il est cependant curieux que la République islamique recherche une telle alternative aux ressources hydrocarburées qu’elle détient pourtant en quantité colossale. Bref, si l’AIEA n’a pas établi avec certitude que le programme nucléaire iranien est bien militaire, elle ne peut non plus certifier qu’il est exclusivement civil [2].

L’acquisition par l’Iran de l’arme atomique poserait plusieurs types de dangers. D’abord, sa doctrine d’emploi serait-elle rationnelle [3] ? Le président iranien qui n’éprouve aucun état d’âme à propos du « choc des civilisations » a une vision du monde actuel et des temps à venir qui prétend pressentir et hâter le retour apocalyptique du Mahdi, l’imam caché. Pour certains [4] ce retour du douzième imam nécessite la disparition préliminaire de l’État d’Israël, symbole de l’humiliation musulmane et du colonialisme occidental aux yeux des islamistes, mais aussi de nombreux nationalistes. Les propos belliqueux de Mahmoud Ahmadinejad qualifiant cet État voisin de « tumeur » à « rayer de la carte » pose la question de la rationalité de la politique iranienne. En ce sens, les menaces réitérées proférées à l’encontre de Jérusalem doivent être entendues comme un officiel et permanent casus belli. Certains analystes réfutent l’éventualité d’un usage irrationnel de l’énergie atomique et soutiennent que les objectifs de l’Iran nucléarisé sont, au contraire, bien rationnels : sortir de son isolement régional et répandre la doctrine islamique chiite pour lui assurer une hégémonie mondiale [5]. Les deux hypothèses peuvent être simultanément probables.

Deux stratégies peuvent se combiner pour l’Iran : l’acquisition de l’arme nucléaire et, sous ce parapluie, la pratique concomitante du terrorisme international. Jusqu’à la réalisation de ce couplage destructeur, le régime islamique doit démontrer son leadership non seulement sur le Moyen-Orient arabe mais sur le monde islamique planétaire. Pour gagner du temps il est prêt à prodiguer la fausse monnaie du langage d’apaisement dans l’espoir de duper les démocraties européennes « molles » au moment où les États-Unis et leurs alliés sont préoccupés par les difficultés en Irak. L’Iran d’Ahmadinejad est convaincu qu’une fois la bombe acquise, les rapports de force dans la région changeront de façon radicale et durable en sa faveur et qu’il sortira définitivement de ce qu’il vit comme un encerclement.

L’acquisition par la République islamique d’une arme nucléaire représenterait un bouleversement régional et global. Outre les raisons évoquées plus haut, une bombe iranienne renforcerait les éléments les plus radicaux en Iran, confortés par ce succès majeur, et aurait un lourd impact sur la course à l’armement au Moyen-Orient, puisque l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Turquie seraient puissamment incitées à revoir leur engagement de ne pas acquérir l’arme nucléaire.

La bombe iranienne remettrait aussi en cause la fragilité d’un cercle vertueux dans la région, mais encore probablement – après la sortie de la Corée du Nord du TNP en 1993 – l’ensemble du régime de non-prolifération, qui ne résisterait pas à un assaut de cette envergure dans une partie du monde stratégiquement sensible [6]. C’est ainsi que tout le système mondial de prévention du risque atomique s’écroulerait, puisque sa clef de voûte, le TNP, ne servirait plus à rien si un de ses pays signataires (en 1970) – et qui en respecte officiellement les dispositions – pouvait impunément acquérir l’arme suprême. Une telle extrémité relancerait une nouvelle fois la prolifération que la communauté internationale a depuis près de quatre décennies tenté d’éviter et perturberait ainsi le système international de façon profonde et durable.

Même si on reconnaît que ce n’est pas dans un an que Téhéran placera une charge nucléaire sur un missile Shahab de longue portée, il y a de grandes chances que l’Iran finisse par se doter de cette arme redoutable. La puissance de l’État, sa stature, ses compétences sont capables de l’amener au but que ses dirigeants poursuivent depuis plus de trois décennies.

Que peuvent donc faire les États-Unis s’ils s’engagent vers une confrontation ? L’option la moins vraisemblable serait le déclenchement d’une guerre analogue à celle menée contre l’Irak. L’Iran est un pays d’une tout autre envergure par sa dimension, sa population, ses ressources, sa position géostratégique. Une confrontation militaire nécessiterait l’engagement de forces considérables. Les forces iraniennes, divisées entre une armée classique et le corps des Gardiens de la révolution, ne disposent, en réalité, que de crédits restreints et ne représentent qu’une puissance limitée, mais, en dehors peut-être des régions kurde au nord-ouest et baloutche au sud-est, la résistance pourrait être indéfiniment prolongée dans toute la partie centrale du pays.

Dans le même temps, se contenter de pressions diplomatiques et de sanctions économiques sur l’Iran peut, à l’inverse de l’effet recherché, renforcer la frange extrémiste du régime en fusionnant les courants nationalistes et fondamentalistes de l’opinion iranienne. Attendre l’élection présidentielle américaine et une éventuelle révision de la politique des États-Unis à cette occasion ferait perdre un temps précieux. Obliger Téhéran à signer le Protocole additionnel au TNP [7], qui procure à l’AIEA des pouvoirs plus étendus pour l’inspection de sites nucléaires [8], serait insuffisant pour empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire puisque ce dernier peut se retirer du TNP à tout moment. Multiplier les sanctions économiques serait inefficace : la République islamique dispose de la troisième réserve mondiale de pétrole. Elle exporte 2,7 millions de barils par jour dont la plus grande partie est écoulée en Asie (le Japon dépend pour 15% de ses importations pétrolières de l’Iran, la Chine pour 13%), mais aussi en Europe (0,8 millions de barils par jour). On voit mal dans ces conditions quelles sanctions internationales pourraient efficacement frapper l’Iran sans faire flamber le prix du brut. Dans ces conditions, on peut se demander si les sanctions ne sont pas avant tout pour l’Occident – et en particulier pour l’Europe – un moyen de s’assurer une bonne conscience.

Si le plus grand danger était le niveau de maîtrise de la technologie nucléaire, l’option coercitive la plus probable serait la destruction ciblée des centres industriels et nucléaires supposés capables de produire un jour des armes atomiques. Mais la réaction iranienne déjà annoncée ne se limiterait sans doute pas à une rupture avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et pourrait se traduire par des initiatives déstabilisant le dispositif politique et militaire américain en Afghanistan – et indirectement au Pakistan. Le moins que l’on puisse dire est que Téhéran est en position de force. Et cela rend d’autant plus nécessaire une action ferme des États-Unis contre la République islamique.

Masri FEKI © Al-Seyassah

Notes

[1] Pierre Jolicoeur, « L’Iran et la question nucléaire », Revue Points de Mire, Centre d’Études et des Politiques Étrangères et de sécurité (CEPES), 15 septembre 2003, vol. 4, no 6.

[2] Le 21 février 2007, le Directeur général de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, affirmait au sujet du programme nucléaire iranien que Téhéran avait six mois pour atteindre des « capacités industrielles » (militaires), selon l’agence iranienne IRNA.

[3] Luc Barochez, « Nucléaire iranien : pourquoi il faut être pessimiste », Le Figaro, 7 mars 2006.

[4] Le Mahdi attendu est le futur calife bien guidé qui rétablira l’unité des musulmans à la fin des temps, selon la foi chiite.

[5] Raphaël Draï, « Après la bombe, le plan ultime de l’Iran », Le Figaro, 30 août 2006.

[6] Thérèse Delpech, L’Iran, la bombe et la démission des nations, Autrement, Paris, 2006, p. 10.

[7] Ce protocole avait été négocié à la suite de la découverte d’un programme nucléaire clandestin en Irak au début des années 1990. À ce jour, 78 pays signataires du TNP, sur les 188, ont signé ce protocole, mais pas l’Iran.

[8] En vertu du Protocole additionnel du TNP, les inspecteurs de l’ONU peuvent inspecter des sites non déclarés par différents moyens, comme la prise d’échantillons environnementaux ou la visite sans préavis de sites suspects…

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