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L’axe géopolitique russo-iranien

.: le 2 juillet 2009

Suite à sa réélection entachée de fraudes, le président iranien sortant a obtenu l’appui de la Russie et de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (16 juin 2009). Le fait appelle l’attention sur le "pacte de coopération" qui unit Moscou et Téhéran alors même que la Russie, dans la crise nucléaire iranienne, se pose en honnête courtier de la Communauté internationale.

Le 16 juin 2009, à Iekaterinbourg, Dmitri Medvedev accueillait avec cordialité, Mahmoud Ahmadinejad, son homologue iranien venu participer au sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS) ; l’Iran dispose d’un siège d’observateur au sein de ce forum eurasiatique aux allures de structure de solidarité entre régimes à caractère autoritaire, voire despotique. Comme l’on pouvait s’y attendre, la Russie et l’ensemble des membres de l’OCS ont apporté leur appui à la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad. Précédemment, cette structure avait déjà étendu son ombre protectrice sur le régime islamique iranien, engagé dans un programme nucléaire dont les tenants et les aboutissants militaires ne font guère de doute. Les démonstrations d’amitié entre Medvedev et Ahmadinejad ont pour mérite de souligner l’étroitesse des relations entre les cercles de pouvoir des deux pays. Le possible accès de Téhéran à l’arme nucléaire n’est pas la préoccupation première des dirigeants russes, engagés dans une étroite coopération multidimensionnelle avec leurs homologues iraniens. La perspective d’un axe géopolitique russo-iranien n’est pas une chimère et sa réalisation ouvrirait des marges de manœuvre accrues à l’Iran.

Trop longtemps éclipsée aux yeux du grand public par la guerre d’Irak et les divisions du camp occidental, la crise iranienne chemine souterrainement depuis plus d’un lustre. Elle peut à tout moment déboucher sur un affrontement militaire préventif ou bien, si Téhéran accédait à l’arme nucléaire, révolutionner les rapports de force géopolitiques moyen-orientaux, avec des prolongements d’envergure planétaire. La volonté iranienne de conduire à terme son programme nucléaire et balistique s’inscrit dans la longue durée et transcende les ambitions du « régime des mollahs » [1]. L’Iran est un pays signataire du TNP (Traité de Non Prolifération nucléaire, signé le 1er juillet 1968), avec les droits et les devoirs liés à ce statut [2], mais le Shah avait en son temps amorcé un vaste effort nucléaire, en coopération avec divers pays occidentaux (la France et la RFA), effort qui déjà éveillait les soupçons. La révolution islamique, la désorganisation du pays, puis la longue guerre avec l’Irak mirent fin aux coopérations en cours. Dès 1986 toutefois, l’Iran prenait langue avec le Pakistan, pivot géopolitique régional qui jouait des servitudes du conflit Est-Ouest pour se livrer à la prolifération balistique et nucléaire. C’est en 1993 que les négociations secrètes entre Téhéran et Islamabad sont véritablement relancées mais l’existence d’un programme d’enrichissement n’a été révélée que le 14 août 2002 par le Conseil National de la Révolution Iranienne, émanation des Moudjahidine du Peuple (une structure clandestine d’opposition).

Prolifération balistique et nucléaire en Iran

Le scénario d’une sanctuarisation agressive du Moyen-Orient, du Golfe Arabo-Persique à la Méditerranée orientale, les effets en chaîne dans cette région névralgique et les menaces réitérées à l’encontre d’Israël suffiraient à expliquer le souci dont témoignent les efforts diplomatiques des chancelleries occidentales. Le sort des dispositifs internationaux de contre-prolifération est aussi en jeu. Au printemps 2003, les diplomates français, allemands et britanniques (l’UE-3) ont donc pris en main les négociations, au nom de la Communauté internationale. Depuis, l’AIEA et le Conseil de sécurité des Nations unies ont considéré que l’Iran avait contrevenu à ses obligations en se lançant dans l’enrichissement d’uranium (site de Natanz, à 150 km au nord d’Ispahan). Après avoir temporairement gelé le programme d’enrichissement, l’Iran a repris sa marche en avant et son président, Mahmoud Ahmadinejad, a déclaré que le programme nucléaire iranien était « une locomotive sans frein ni marche arrière » (25 février 2007). A l’automne 2007, les experts de l’AIEA estimaient que 3000 centrifugeuses étaient opératoires et elles pourraient permettre à l’Iran d’obtenir le combustible nécessaire à une arme nucléaire en une année. Un document américain a ensuite évoqué la date de 2009, au plus tôt, et plus probablement la fourchette 2010-2015 [3]. Le dernier rapport en date de l’AIEA (5 juin 2009) insiste sur l’installation de nouvelles centrifugeuses et souligne les zones d’ombre du programme nucléaire iranien [4] (réalisation d’études militaires, confection d’ogives à capacité nucléaire, installations souterraines). Au risque de prolifération nucléaire s’ajoutent les efforts balistiques iraniens, mis en avant par le régime comme manifestation de puissance. En l’état actuel des choses, le Shahab-3 est jugé être le seul missile (à capacité nucléaire) opérationnel et fiable. Sa portée de 1300 km couvre l’ensemble du Moyen-Orient. D’ores et déjà, une version modifiée (le Shahab-3M) pourrait, avec une charge légère, menacer le Sud-Est de l’Union européenne (1800-2000 km de portée). Dans les cinq ans, ce modèle devrait être consolidé alors que le projet Ashura de missile étagé aura atteint le stade des essais en vol (plus de 2000 km de portée, voire 3000 selon certains experts). Dans les dix ans, le Shahab-3M et l’Ashura seraient pleinement opérationnels (2000-2200 km de portée). Au cours des derniers mois, Téhéran a mis en scène divers essais balistiques. Le 9 juillet 2008, les « Gardiens de la Révolution » (le pilier militaro-policier du régime) ont lancé un Shahab-3 d’une portée suffisante pour atteindre Israël (2000 km) et ils ont procédé à huit autres tirs de missiles sol-sol de moyenne portée (exercice « Grand prophète III »). Le 12 novembre suivant, la télévision iranienne a diffusé les images de lancement d’un autre missile dit de « nouvelle génération » (une variante du Shahab-3) de longue portée. Le 3 février 2009, la mise sur orbite du satellite Omid (« Espoir ») au moyen de la fusée Safir-2 (« Ambassadeur ») pose l’Iran pose en nouvelle puissance spatiale du Moyen-Orient (avec Israël). Ce lancement atteste de la capacité iranienne à construire des missiles balistiques de longue portée (le lanceur Safir est une version améliorée du Taeopodong nord-coréen).

Les ambivalences russes

La faible contribution de la Russie au jeu multilatéral des incitations positives et négatives, pour amener Téhéran à suspendre l’enrichissement d’uranium, pose question. Au milieu des années 1990, les dirigeants russes se sont progressivement engagés sur la voie d’une étroite coopération bilatérale avec l’Iran ; l’accord sur la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr en témoigne. Aussi les dirigeants russes pratiquent-ils un jeu diplomatique ambigu. Tout en arguant de ses responsabilités internationales, la Russie a joint ses efforts à ceux de la Chine pour réduire la portée des résolutions votées par le Conseil de sécurité (résolution 1737 du 23 décembre 2006 ; résolution 1747 du 24 mars 2007) et minimiser les sanctions corrélatives. Elle a ensuite mis en avant le plan de coopération signé entre l’AIEA et l’Iran (août 2007) pour reporter à la fin de l’année la discussion d’une autre résolution visant à renforcer les sanctions internationales. Le 20 décembre 2007, les discussions engagées par les « Six » (l’UE-3, les Etats-Unis, la Russie et la Chine) ont échoué et Condoleezza Rice n’a pu que constater « les divergences tactiques avec la Russie en particulier, et dans une certaine mesure avec la Chine, sur le calendrier et la nature de nouvelles sanctions » (AFP). Dans l’intervalle, la Russie a livré le combustible nécessaire au fonctionnement de la centrale nucléaire de Bouchehr renonçant ainsi à user de ce moyen pour faire pression sur Téhéran.

Bien que la Russie n’ait pas intérêt à voir s’affirmer sur son flanc sud une nouvelle puissance atomique, la perspective d’un Iran nucléaire préoccupe moins ses dirigeants que de possibles frappes américaines sur les sites nucléaires iraniens. Au vrai, les dirigeants russes relativisent la menace que représente l’Iran et insistent sur le fait qu’aucune preuve d’un programme nucléaire militaire iranien tangible n’a pu être produite. Ils sont moins diserts sur le fait que l’Iran est bien en porte-à-faux avec le Conseil de sécurité qui exige, avec l’approbation de la Russie, l’arrêt du programme iranien d’enrichissement de l’uranium. Par ailleurs et selon les experts militaires russes, l’Iran ne disposerait pas encore de missiles ayant une portée effective et opérationnelle supérieure à 1700 km et leurs performances balistiques ne pourraient atteindre les 3500 km avant 2015. Sans aide extérieure, l’Iran serait incapable de mener cet effort à terme et la Russie de souligner l’efficacité du Régime de Contrôle des Technologies de Missiles [5] (MTCR), ce qui rendrait très improbable un tel bond technologique. C’est aussi une manière de rappeler l’importance de la bonne volonté russe dans l’élaboration et la conduite des politiques de contre-prolifération. Bref, l’alarmisme des Occidentaux ne se justifierait pas et la Russie pourrait à loisir renforcer ses relations affairistes avec l’Iran.

En Europe, l’ambivalence de la politique russe sur la question du nucléaire iranien est parfois présentée comme relevant d’un processus de marchandage. Le soutien conditionnel apporté à Téhéran ne serait qu’une simple option de politique étrangère, la Russie pratiquant un jeu de bascule pour faire monter les enchères et enregistrer des gains sur ses confins occidentaux. In fine, la Russie pourrait modifier sa politique de complaisance à l’égard de l’Iran pour peu que les Etats-Unis renoncent à déployer des systèmes antimissiles en Europe centrale (intercepteurs en Pologne et radar en République tchèque) et que l’OTAN ne s’élargisse pas plus à l’Est (candidatures de la Géorgie et de l’Ukraine). De fait, les dirigeants russes ont intérêt à laisser miroiter le possible réaménagement de leur dispositif diplomatique en Iran et il est avéré qu’ils jouent cette carte dans leurs relations avec Israël. En menaçant de livrer des systèmes aériens modernes (les S-300) à l’Iran et à la Syrie, Moscou a pu obtenir la cessation de toute coopération militaire entre Israël et la Géorgie [6]. Au passage et sans engagement publiquement assumé de renoncer à ses ventes d’armes, la Russie s’est vue transmettre la métochie Saint-Serge, située au centre de Jérusalem, et elle a obtenu de l’Etat hébreu un régime de visas plus favorable [7]. De ces faits, il serait pourtant erroné de conclure que la partie russe ne voit en l’Iran qu’une monnaie d’échange pouvant être sacrifiée sur l’autel de son « partenariat conflictuel » avec l’Occident.

Le pacte de coopération Moscou-Téhéran

La « compréhension » dont la Russie fait preuve à l’égard de l’Iran et les étroites relations bilatérales qui lient ces deux pays s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat mis en œuvre dès le milieu des années 1990. Alors qu’au sortir de la Guerre froide les exportations russes d’armement conditionnent la survie du complexe militaro-industriel post-soviétique, l’Iran est avec l’Inde et la Chine l’un des trois principaux marchés extérieurs. Aux ventes d’armes s’ajoute la coopération nucléaire et c’est en 1995 que Moscou et Téhéran signent un accord sur la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr. Il s’agit là d’un projet civil pour lequel la Russie fournit de surcroît le combustible et ce sous la surveillance de l’AIEA. Ce projet n’est donc pas considéré comme proliférant. Encore faut-il rappeler que le Ministère russe de l’Energie Atomique (MINATOM) avait initialement signé un accord de livraison d’installations d’enrichissement de l’uranium ; les amicales pressions de Bill Clinton sur Boris Eltsine avaient abouti à la rupture du contrat russo-iranien. Dans les années qui suivirent, le chantier de la centrale de Bouchehr servit à la Russie de levier financier et politique. Lors du dernier sommet de la Caspienne, le 17 octobre 2007, Vladimir Poutine s’est engagé à mener à bien cette coopération et la Russie a livré, on l’a vu, les barres d’uranium enrichi nécessaires au fonctionnement de la centrale [8].

Ces étroites relations commerciales russo-iraniennes ont été renforcées lorsque le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue iranien, Mohammed Khatami, ont signé un « pacte de coopération civile et militaire » le 16 mars 2001. Ce pacte a pour vecteurs d’importantes nouvelles ventes d’armes dont un système de défense anti-aérien moderne (vente de Tor M1 et promesses de vente de S-300) et la construction de la centrale de Bouchehr. Le partenariat renforcé entre la Russie et l’Iran met ainsi fin au « gentlemen’s agreement » américano-russe qui excluait la livraison d’armes de pointe à Téhéran. Potentiellement, les relations spéciales entre Moscou et Téhéran assurent aux deux pays un poids certain sur la scène internationale pour autant qu’ils soient en mesure de développer des synergies géopolitiques. Ensemble, ces deux pays représentent environ le quart des réserves mondiales de pétrole, les deux-cinquièmes des réserves de gaz naturel et leurs dirigeants explorent la possibilité de faire converger les intérêts énergétiques nationaux via la répartition des marchés d’exportation et la mise sur pied d’une forme d’ « OPEP du gaz ». Sur le plan diplomatique, la Russie assure la couverture de l’Iran tant au sein du Conseil de sécurité que via l’Organisation de Coopération de Shanghaï ou d’autres instances internationales. Il est vrai qu’en retour les dirigeants iraniens sont parfois ingrats et les diplomates russes n’ont guère apprécié que Téhéran rejette sans ambages leur proposition d’enrichir l’uranium iranien sur le site d’Angarsk, en Sibérie méridionale.

Une « OPEP du gaz » ?

Les questions énergétiques exigent quelques développements, la coopération russo-iranienne n’allant pas de soi en ce domaine. Tous deux riverains de la mer Caspienne, aire de production énergétique d’importance, la Russie et l’Iran n’ont pas les mêmes vues quant au partage et à la valorisation des ressources en hydrocarbures. La Russie préconise le partage en zones de taille proportionnelle aux littoraux des Etats riverains alors que l’Iran prône le partage en zones égales . Toutefois Moscou et Téhéran s’entendent pour maintenir le statu quo et prétendre subordonner la construction de gazoducs et d’oléoducs transcaspiens, souhaitée par l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan, à un accord de l’ensemble des pays riverains ; cette interconnexion conditionne la rentabilité de l’hypothétique Nabucco, un projet de gazoduc essentiel à la diversification des approvisionnements énergétiques européens. La Russie s’oppose par ailleurs à l’écoulement du gaz iranien vers l’Ouest de manière à conforter les positions de Gazprom en Europe. Aussi soutient-elle l’idée d’un « Gazoduc de la paix » reliant l’Iran à l’Inde, à travers le Pakistan, avec de possibles exportations vers la Chine. Les sanctions internationales écartant Téhéran des marchés occidentaux, cette rivalité Russie-Iran n’est pas encore effective et ne met donc pas en péril leurs relations bilatérales [9].

L’idée d’une « OPEP du gaz », soutenue tour à tour par Moscou et Téhéran, doit aussi être prise au sérieux. C’est en 2001, dans la capitale iranienne, que les dirigeants de Russie, d’Iran et du Qatar (56% des réserves mondiales) sont convenus de créer un forum regroupant les grands exportateurs de gaz. Un temps approchée, l’Algérie s’est depuis éloignée de ce projet, la coopération entre Gazprom et Sonatrach n’aboutissant pas. Certes, ces trois pays forment un attelage disparate : alors que le Qatar est devenu le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), la Russie ne maîtrise pas encore cette technique et dépend des réseaux terrestres d’acheminement ; quant à l’Iran, il n’est pas en mesure de valoriser ses immenses ressources et importe ponctuellement du gaz. Réunis à Téhéran le 21 octobre 2008, ces trois pays ont pourtant annoncé la création d’une « grande troïka gazière » (Alexeï Miller, PDG de Gazprom) pour coopérer sur des projets tripartites et inciter les autres producteurs à s’investir dans une « organisation commune gazière » (Gholam Hossein Nozari, ministre iranien du pétrole). A juste titre, la Commission européenne voit dans ce projet une menace sur la sécurité énergétique de l’Union européenne qui importe aujourd’hui plus de la moitié de son gaz [10] (54% en 2008 ; 75% en 2020). Les enjeux ne sont pas simplement économiques (acquisition et exploitation d’un pouvoir de marché) mais géopolitiques, une grande entente gazière entre la Russie et l’Iran, à l’intérieur ou en marge d’une « OPEP du gaz », permettant de réduire les marges de manœuvre des Européens.

Les volontés croisées d’interconnecter les réseaux de transport doivent aussi être pris en compte, les dirigeants russes et iraniens travaillant dans la durée à la réalisation d’un axe physique – routier, ferroviaire et fluvio-maritime - susceptible de rivaliser avec d’autres voies d’acheminement des marchandises. C’est pourquoi la Russie est aussi investie dans le vaste projet d’un corridor de transport international nord-sud reliant l’Europe du Nord et la mer Baltique à l’océan Indien et à l’Asie du Sud, ce corridor multimodal permettant d’éviter le canal de Suez, avec de fortes réductions des trajets et des coûts de transport (15 à 20 jours de moins et 15 à 20% d’économie). Ce corridor requiert la construction d’un axe ferroviaire direct entre la Russie et l’Iran, au travers de l’Azerbaïdjan. Il couperait le corridor Est-Ouest, énergétique notamment (oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan ; gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum), qui ouvre l’Asie centrale à l’Europe via le Caucase du Sud. Certes, il y a encore loin de la coupe aux lèvres et il sera difficile de faire converger les intérêts de tous les pays concernés par ces vastes projets [11]. Toujours est-il que l’Iran serait le partenaire incontournable de la Russie dans la construction et l’exploitation de ce corridor. Enfin, le discernement consiste à voir l’infiniment petit et anticiper les développements possibles de projets et d’idées qui, parfois, semblent destinés à dépérir.

L’impuissance de l’ONU

La coopération nucléaire russo-iranienne n’est donc que la partie d’un tout et le faisceau d’intérêts croisés entre Moscou et Téhéran nous amène à relativiser la vision d’une Russie prompte à lâcher l’Iran pour peu qu’on lui cède suffisamment sur d’autres théâtres géopolitiques et dans d’autres domaines des relations internationales. Assurément, l’Iran est un partenaire clef de la géopolitique eurasiste de Moscou et la perspective de coopérations plus étroites encore, jusqu’à donner naissance à une forte et étroite alliance, ne peut être écartée. Faut-il pour autant évoquer un véritable axe Moscou-Téhéran ? L’hypothèse doit être testée dans la durée mais cette première approche révèle déjà la force des dynamiques et des représentations géopolitiques à l’œuvre.

A tout le moins ne faudrait-il pas trop compter sur le soutien russe pour contraindre l’Iran à renoncer à son programme nucléaire. La Russie ne sacrifiera pas de solides acquis diplomatiques, stratégiques et économiques à la lutte contre la prolifération d’autant plus que certains de ses dirigeants semblent considérer qu’une arme nucléaire iranienne menacerait avant tout les positions américano-occidentales au Moyen-Orient. Aussi doit-on penser que le système des Nations unies ne sera pas l’instance de résolution de la crise nucléaire iranienne. L’idée d’une coalition de bonnes volontés s’impose à l’esprit.

Jean-Sylvestre MONGRENIER © Middle East Pact

Chercheur associé à l’Institut Thomas More, Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Auteur du Dictionnaire géopolitique de la défense européenne (ed. Unicomm, 2005), de La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme français (ed. Unicomm, 2006), co-auteur de La Russie, de Poutine à Medvedev (Institut Thomas More/DAS, ed. Unicomm, 2008).

Notes

[1] Cette commode appellation ne doit pas dissimuler le rôle des forces de sécurité (les Gardiens de la Révolution » ou Pasdarans, ainsi que les Bassidjis) dans le fonctionnement du régime. Le coup de force du 12 juin 2009 atteste de la chose. Inversement, le haut clergé chiite semble moins unanime.

[2] Ce statut ouvre l’accès aux utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire avec pour contrepartie un engagement à ne pas se doter de l’arme nucléaire et l’obligation de soumettre ses activités nucléaires au contrôle de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Ce statut n’induit pas un droit automatique aux techniques proliférantes (enrichissement de l’uranium ou production de plutonium), ces techniques n’étant pas mentionnées dans le TNP.

[3] Il s’agit du rapport de la National Intelligence Estimate rendu public le 3 décembre 2007 (Iran : Nuclear Intentions and Capabilities).

[4] Ce rapport de l’AIEA établit le fait que l’Iran a atteint le nombre de 7052 centrifugeuses (164 en janvier 2006). Le pays est en possession de 1339 kg d’uranium faiblement enrichi (le cap des 1000 kg a été franchi en février). Dans un entretien à la BBC, le 17 juin 2009, le directeur de l’AIEA, Mohammed El Baradei, a déclaré qu’il était persuadé du caractère militaire du programme nucléaire iranien.

[5] Fondé le 16 avril 1987, le MTCR est un régime de contrôle de la technologie des missiles qui regroupe aujourd’hui 34 pays dont la France assure le secrétariat permanent. Le principe de base du MCTR est de refuser les transferts d’engins capables d’emporter plus de 300 kg de charge utile à plus de 500 km de portée. Le MTCR est aussi un forum d’échange d’informations entre membres sur les questions régionales, les programmes de missiles dans le monde et la lutte contre la fraude au contrôle des exportations.

[6] En l’état actuel des choses, l’Iran ne disposerait que de 10 systèmes S-200 et de 6 systèmes S-300, des systèmes datés achetés à la Biélorussie au milieu des années 1990. La vente de nouveaux systèmes (S-300 PMU-1) pourrait permettre à l’Iran de contrer un raid aérien occidental sur les sites nucléaires russes.

[7] Centre d’accueil des pèlerins russes en Terre Sainte, la métochie Saint-Serge a été financée, fin XIXe-début XXe, par la Société orthodoxe impériale de Palestine. Sur la visite du premier ministre israélien Ehud Olmert à Moscou, en octobre 2008, voir Andreï Mourtazine, « Des S-300 en échange d’un sanctuaire à Jérusalem ? », RIA-Novosti, 8 octobre 2008.

[8] Le 17 décembre 2007, la Russie annonçait avoir livré un premier lot de combustible d’uranium. Le même jour, un responsable iranien affirmait que Téhéran continuerait à enrichir son propre uranium, en dépit des fournitures russes.

[9] La loi d’Amato de 1996 sanctionne tout investissement majeur en Iran et les sanctions adoptées au titre des résolutions des Nations unies renforcent l’isolement financier du pays. Il est à noter que le conflit russo-géorgien d’août 2008 a incité les producteurs de la Caspienne à renforcer les capacités d’exportation vers le sud, via l’Iran, ce qui n’irait pas dans le sens des projets de Gazprom qui cherche à préempter les flux caspiens.

[10] Voir Jean-Michel Bezat, « L’Europe refuse une OPEP du gaz », Le Monde, 25 octobre 2008.

[11] Citons entre autres exemples le percement d’un canal de 700 km entre la Caspienne et le Golfe Arabo-Persique.

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