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Analyses

L’AKP responsable des menaces que fait peser l’Etat islamique sur la Turquie ?

.: le 3 août 2015

Haluk Özdala, député turc, la politique de l’AKP d’Erdogan concernant l’Etat islamique (EI) et Jabhat al-Nosra puis propose des solutions quant à la sortie par le haut de la crise syrienne et du problème kurde.

La mort de 32 personnes à Suruç, dans le sud-est de la Turquie, suivie de celle de plusieurs soldats et policiers ainsi que la fin du cessez-le-feu avec les Kurdes pourraient être des signes avant-coureurs menaçants de terribles jours à venir. Aujourd’hui, nos villes et nos sites touristiques sont sérieusement susceptibles d’être les cibles de nouveaux attentats sanglants. Une guerre civile dans l’est et le sud-est pourrait être toute proche et ne sera, cette fois, probablement pas de faible intensité. Premier responsable de ce sombre panorama, le Parti pour la justice et le développement (AKP) qui a commis de graves erreurs sur le dossier syrien et la question kurde et qui n’est parvenu à atteindre aucune de ses cibles politiques sur ces deux sujets cruciaux.

Des décisions irrationnelles

Concernant la crise syrienne, l’AKP a opté pour le projet d’un changement de régime à Damas par des moyens militaires, malgré l’absence d’une opposition interne efficace et d’un consensus international, des conditions pourtant nécessaires. Désormais, ils ont leur part de responsabilité, tout comme Bachar al-Assad, dans les massacres et les destructions en Syrie. De plus, ils ont donné une bonne raison à tous ceux qui cherchent une occasion de soutenir le terrorisme et la violence en Turquie.

Ils ont non seulement adopté ce projet irrationnel, mais sont aussi aveuglés par la rage de le voir se réaliser. Dans une décision à caractère idéologique, la longue frontière commune avec la Syrie a été laissée grande ouverte. Du coup, des dizaines de milliers de personnes, dont des criminels, des agents d’Assad, des éléments au service d’autres Etats et des terroristes membres d’al-Qaïda ou d’autres organisations similaires pourraient tous passer librement la frontière dans les deux sens.

Le soutien de l’AKP aux groupes pro-al-Qaïda

Le wahhabisme est une interprétation austère de l’islam, apparu dans la péninsule arabique dans le cadre du hanbalisme, école déjà connue pour ses interprétations rigides. Le wahhabisme déclare toute interprétation divergente comme étant contraire à l’islam et sévèrement punissable. Il a poussé à l’interprétation du concept de djihad comme notion proéminente et a mêlé salafisme et djihadisme. Ce qui a constitué l’environnement idéologique ayant conduit à l’émergence d’al-Qaïda dans les années 1980. L’AKP a soutenu les dizaines de milliers de combattants d’organisations salafistes comme Daesh, le Front al-Nosra et Ahrar al-Sham en Syrie, des groupes pro-al-Qaïda. Plus précisément, l’AKP a soutenu non seulement ces groupes mais aussi tous les combattants qui ont déclaré vouloir renverser Assad. Le soutien s’est traduit par toutes sortes d’aides, comme l’installation de quartiers et de centre d’opérations militaires en Turquie, la fourniture d’armes et de locaux pour des services de santé et de loisirs.

Les réactions montantes de la communauté internationale

Le vice-président américain Joe Biden a une fois dit que les Etats du Golfe et la Turquie avaient fourni à al-Nosra, al-Qaïda et d’autres groupes radicaux des centaines de millions de dollars et des milliers de tonnes d’armes. Malgré les réactions d’Ankara, Biden n’a pas rectifié sa déclaration. Plus récemment, un porte-parole du Département d’Etat américain a dit savoir que quasiment tous les terroristes de Daesh issus de plusieurs pays à travers le monde arrivent dans la région via la Turquie. Cette fois, Ankara n’a soulevé aucune objection. On estime que le nombre de soutiens de Daesh passés en Syrie via la Turquie ces 12 derniers mois avoisine les 10 000 personnes.

Face aux réactions de la communauté internationale, et vu que la frontière entre la Turquie et la Syrie s’est transformée en passage libre pour les terroristes, pendant un moment, les porte-paroles de l’AKP ont tenté de se défendre à l’aide d’arguments superficiels : « Entre 30 et 35 millions de touristes viennent en Turquie chaque année. Comment pouvons-nous savoir lesquels sont des terroristes ? ». Pourtant, le passage de terroristes au niveau de certaines parties de la frontière a cessé après qu’elles sont tombées sous le contrôle des Kurdes, qui avaient beaucoup moins de moyens pour surveiller la frontière. La bête nommée Daesh et nourrie par l’AKP a commencé à devenir une menace pour le parti au pouvoir et la Turquie.

Quand les Etats-Unis ont demandé l’autorisation d’utiliser la base aérienne d’Incirlik dans la lutte contre Daesh l’été dernier, l’AKP a émis deux conditions : que les avions de la coalition frappent également les forces d’Assad et qu’une zone de sécurité soit établie. L’AKP a aujourd’hui retiré ces deux conditions. Contrairement à ce qui avait fuité dans les médias, la question d’une zone de sécurité n’a même pas été évoquée avec les interlocuteurs américains. C’est un début positif. Mais ce n’est qu’un tout petit changement pour une politique syrienne qui a de lourdes conséquences pour la Turquie.

Que doit-on faire ?

L’ouverture de la base d’Incirlik doit être suivie d’autres actions. Premièrement, il est important que les avions de la base d’Incirlik ciblent non seulement Daesh mais aussi les forces du Front al-Nosra. Sinon, la zone évacuée par Daesh sera de nouveau prise par une autre organisation liée à al-Qaïda. Nous ne savons pas comment cette question cruciale a été traitée dans l’accord passé avec les Etats-Unis. Même si la section frontalière entre les villes syriennes d’Azaz et Jarabulus est contrôlée par l’armée turque et que le transit des terroristes est interdit, cela ne sera pas suffisant. Les mêmes mesures doivent être prises pour deux autres sections frontalières : celle entre Azaz et la province d’Afrin à l’ouest et la section dans la province de Hatay, en particulier au niveau des postes-frontières Reyhanli-Cilvegözü et Yayladag-Kesab.

Le soutien fourni aux djihadistes salafistes comme al-Nosra via ces deux zones frontalières doit cesser. Si ces sections sont contrôlées par l’armée turque, le soutien militaire provenant de la Turquie à la guerre civile en Syrie sera entravé, tout comme c’est le cas pour d’autres parties de la frontière qui sont désormais contrôlées par les Kurdes. Avec la fermeture de la frontière, la stratégie annoncée par Barack Obama le jour de sa conversation téléphonique avec Erdogan doit être mise en place. Les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et la Turquie doivent rechercher une solution politique. Les Etats du Golfe ne laisseraient pas passer un tel accord. Comme l’a noté Obama, Assad doit aussi faire partie de cette solution. Nous savons que les commandants de l’armée turque favorisent le dialogue avec Assad (Hürriyet, 27 juin 2015). Bien sûr, les Kurdes syriens doivent aussi participer à cette coopération.

Que prévoit l’AKP ?

Toutefois, il est peu probable que l’AKP soit favorable à ce changement politique, car depuis le mois de mars, il soutient l’Armée de la conquête, conduite par al-Nosra et Ahrar al-Sham, tous deux liés à al-Qaïda. L’AKP a pris part à un accord avec l’Arabie saoudite et le Qatar pour soutenir ces organisations liées à al-Qaïda. Mais le parti s’abstient de faire toute déclaration publique concernant cet accord qui ne semble pas avoir été évoqué lors des derniers conseils de sécurité, alors que l’armée considère ces groupes comme des groupes terroristes. De plus, certains signes indiquent que le sujet n’a même pas été discuté en conseil des ministres. Même des pays non démocratiques ne cachent pas une telle information au public. Par exemple, des journaux saoudiens ont déjà publié des articles sur l’accord du gouvernement saoudien avec la Turquie pour soutenir al-Nosra.

Ce que l’AKP attend

Il semble que l’AKP souhaite voir la zone abandonnée par Daesh occupée par des organisations liées à al-Qaïda comme al-Nosra, et que la Syrie soit reprise par ces mêmes organisations. Comme dans le cas de Daesh, al-Nosra finira par devenir une menace pour l’AKP et la Turquie. Il est aussi probable que des organisations wahhabites qui partagent la même idéologie, comme Daesh et le Front al-Nosra, finissent par fusionner. Le leader d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, lance déjà des appels à une fusion. Si cela devait arriver, l’AKP le niera sûrement de nouveau et dira qu’il n’a jamais soutenu al-Nosra.

Les journaux contrôlés par l’AKP font l’éloge des organisations wahhabites comme Ahrar al-Sham et Daesh. Ils disent que la Syrie finira par être « libérée » par ces organisations. Même un professeur de théologie, connu pour être l’un des grands mentors de l’AKP, fait partie de ceux qui font leur éloge. Mais le wahhabisme est à l’opposé de la vision de la Turquie par rapport à l’islam. La tradition ottomane a toujours été en conflit politique, militaire et intellectuel avec le wahhabisme depuis son émergence dans la péninsule arabique. L’AKP et ses mentors sont simplement étrangers à nos valeurs historiques et culturelles.

Où va le problème kurde ?

Le processus de paix kurde dirigé par l’AKP n’aboutit à rien. Ce processus dépendait des négociations avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan. En retour, l’AKP attendait qu’Öcalan garantisse la loyauté des Kurdes à la Turquie. Un vice-Premier ministre de l’AKP a même déclaré Öcalan comme leader du peuple kurde. Il était improbable que cette politique irréfléchie mène à une solution pacifique. Le PKK bénéficie maintenant du vaste soutien des Kurdes, d’une forte intensification militaire et d’un prestige international qu’il n’avait jamais eu avant. L’AKP a ainsi fait un cadeau gratuit au PKK, grâce à sa politique malencontreuse menée face aux questions syrienne et kurde.

Entreprendre des réformes

Le processus de paix devient de plus en plus compliqué chaque jour. Mais il est évident qu’il faut reconnaître tous les droits et libertés des citoyens du pays, dont les Kurdes, via des réformes légales et constitutionnelles, supprimer les obstacles à l’utilisation de sa langue maternelle, remanier en profondeur une administration centrale désuète et renforcer l’autonomie de toutes les régions de Turquie. Peu importe ce que pourrait faire le PKK, de telles réformes doivent définitivement être mises en place et au plus vite. Le paquet de réforme doit être soutenu autant que possible, de préférence en coopération avec trois partis – l’AKP, le CHP et le HDP, qui représentent à eux tous 80 % du vote national. Les seules questions devant être négociées avec le PKK doivent concerner l’aide aux membres du PKK qui souhaitent déposer les armes et retourner à une vie normale.

Haluk ÖZDALGA © Zaman France (France)

Haluk Özdalga est un député indépendant au Parlement turc et ancien élu de l’AKP.

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