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Analyses

Irak : vous préférez Saddam Hussein ou les djihadistes ?

.: le 15 août 2014

A travers cet analyse publiée par Le Point, Pierre Beylau explique comment l’intervention américaine a influencé le choix politique des sunnites d’Irak.

"Consacrez-vous à l’Irak" au lieu de vous occuper des affaires syriennes. Tel était le conseil prodigué le 2 mai dernier par Ayman al-Zawahiri à Abou Bakr al-Baghdadi dans une vidéo. Ce dernier, chef de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), a suivi à la lettre la prescription du patron d’al-Qaida. Les colonnes de l’EIIL sont en passe de contrôler la totalité du pays sunnite et menacent Bagdad.

Elles sont appuyées par une grande partie des tribus sunnites et d’anciens officiers de Saddam Hussein. La jonction improbable entre les barbus et les moustachus. Le gouvernement de Nouri al-Maliki, un chiite considéré par beaucoup comme une marionnette de Téhéran, a réussi l’exploit d’unifier les sunnites contre lui, à l’exception des milices mercenaires Sahwa (ou Conseil du réveil). Onze ans après l’intervention américaine, les ondes de choc du désastre stratégique irakien ébranlent toute la région.

L’Irak est de facto éclaté en trois morceaux

Le Kurdistan est autonome, dispose de sa propre armée, gère ses finances et son économie (prospère) comme il l’entend. L’autorité du gouvernement central s’exerce d’une manière parfaitement théorique. Les zones sunnites au nord et à l’ouest sont aux mains des insurgés. Le Sud chiite est sous l’influence de l’Iran.

L’Irak, héritier de l’antique Mésopotamie, est ancré dans une très vieille civilisation : Sumer (3 000 ans avant J.-C.), Assyrie (1 000 ans avant J.-C.), Babylone (6 siècles avant J.-C.). Entre Tigre et Euphrate, on inventa l’écriture et, selon la tradition, Abraham, père fondateur des trois religions monothéistes, naquit sur cette terre. Bagdad fut aussi pendant cinq siècles (du VIIIe au XIIIe siècle) la rayonnante capitale de l’empire arabe.

L’Irak moderne est, cependant, une création relativement récente (1932). Il a été constitué après la guerre de 14-18 sur les décombres de l’empire ottoman. Les Anglais, auxquels avait été confié le protectorat de la zone, décidèrent d’unir les vilayets (provinces) de Mossoul, Bassorah et Bagdad et l’indépendance du pays fut proclamée en 1932. Mais ce sont les sunnites, alliés à la minorité chrétienne, qui dominèrent le pays jusqu’à la chute de Saddam, où les chiites prirent le pouvoir.

La peur du grand Kurdistan

L’expédition américaine de 2003 n’a pas seulement renversé un régime dictatorial mais laïque : elle a provoqué une dangereuse rupture des équilibres régionaux. Le Chott-el-Arab, le delta du Tigre et de l’Euphrate, n’était pas uniquement une frontière administrative entre l’Irak et l’Iran. Elle marquait la césure multiséculaire entre le monde sunnite et le monde chiite, entre le monde arabe et le monde perse. Les orages d’aciers déclenchés par Washington ont bouleversé la donne. Les sunnites ont perdu le pouvoir et subi des persécutions incessantes. Les chrétiens se sont exilés en masse. Aujourd’hui, les insurgés sunnites, à leur tour, effacent une frontière, entre l’Irak et la Syrie, et certains rêvent d’un grand khalifat islamiste.

Un modus vivendi existe pour l’instant entre le Kurdistan autonome et la Turquie sur fond de coopération pétrolière : les Kurdes rêvent d’évacuer directement leur or noir via le territoire turc sans passer par l’Irak. Mais Ankara surveille la situation comme le lait sur le feu. Son obsession : un grand Kurdistan qui réunirait un jour les Kurdes d’Irak et de Turquie. Les Kurdes peuvent être tentés de prendre le contrôle des champs pétrolifères situés à leur frontière. La ville de Kirkuk constitue un enjeu crucial. Jadis majoritairement sunnite, elle a été progressivement "kurdisée", même si elle se situe en dehors des limites administratives du Kurdistan. Chaque belligérant va aussi chercher à contrôler les oléoducs qui évacuent le brut vers la Turquie. Les idéologues néoconservateurs qui entouraient George Bush rêvaient de modifier la carte du Moyen-Orient. Ils y sont parvenus au-delà de toute espérance. Mais peut-être pas dans le sens imaginé…

Pierre BEYLAU © Le Point (France)

L’auteur est journaliste, il est conseiller de la direction de l’hebdomadaire Le Point après avoir été, de 1995 à 2012, rédacteur en chef du service international de cet hebdomadaire. Il est spécialiste de politique étrangère.

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