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Analyses

Irak, An V, ce qui a marché

.: le 24 mars 2008

Dans cet article du New York Post, l’ancien rédacteur en chef du quotidien iranien Kayhan, Amir Taheri, analyse la situation politique en Irak et l’émergence de ce qu’il considère comme un modèle démocratique à suivre.

Si on se base sur les compte-rendus des médias occidentaux relatifs au 5ème anniversaire de la guerre d’Irak, nous avons l’impression d’être catapultés dans les débats sans fin de 2002 et du début 2003. En restant focalisé sur le passé, personne ne peut comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Irak et dans toute la région autour.

Cette guerre avait trois objectifs :

• Démanteler le régime de terreur créé par Saddam Hussein et son clan de Tikrit ;
• Restituer au peuple Irakien le pouvoir usurpé par les Tikritis ;
• Aider les Irakiens à construire une société nouvelle qui pourrait à la longue devenir un modèle pour d’autres pays musulmans.

Les deux premiers objectifs ont été atteints. Le clan Tikriti est très loin. Les Irakiens ont récupéré un pouvoir usurpé et l’ont mis en pratique dans deux élections et un référendum.

Le seul débat utile est ainsi de savoir si le troisième objectif a été atteint ou non. A première vue, la réponse est négative. Si on regarde à la télévision les fréquents attentats-suicide, les véhicules qui explosent et les milices qui se déchaînent, personne ne voudrait d’une telle société.

D’autres faits font que l’Irak d’aujourd’hui a peu d’attraits. Alors qu’un million et demi de personnes sont revenues dans le pays après la chute de Saddam Hussein, autant de personnes ont fui le pays après 2004 et deux autres millions de personnes se sont déplacées à l’intérieur d’Irak.

Cependant on peut dire que l’Irak atteint un certain niveau de succès dans des problèmes que d’autres pays musulmans, états de création post coloniale, n’ont pas réussi à résoudre depuis des années.

Le premier d’entre eux concerne la légitimité, question liée à l’origine du pouvoir. Dans les pays Musulmans traditionnels, la légitimité est dynastique, avec un vernis d’autorité religieuse. Dans les soi-disant républiques, le pouvoir dérive d’un mythe fondateur, des coups d’état militaires, appelés "révolutions". Les mythes sont alors exploités pour justifier une domination arbitraire d’une clique, souvent une élite militaire, s’appuyant sur des services de sécurité d’une rare brutalité. En Irak après Saddam, la source de la légitimité est la volonté du peuple, exprimée dans des élections libres. Aucun des partis politiques, aucune des dizaines de personnalités politiques ayant émergé du scrutin sur la scène publique ne revendique une légitimité issue d’un mandat divin, d’un événement mythique ou d’un lien du sang.

Tout cela peut sembler banal pour une vieille démocratie. Mais pour une nation qui veut entrer dans la modernité, il s’agit d’un enjeu majeur. Dans le nouvel Irak, cette légitimité du pouvoir populaire peut être illustrée par le fait que c’est le seul pays musulman dont la constitution n’a pas été écrite et imposée par une petite clique au pouvoir. La constitution a été élaborée dans un processus où des milliers de gens sont intervenus pendant deux ans de consultation et de débats, suivis par son examen par une Assemblée Constituante, et enfin, le choix a été fait par un référendum populaire.

On peut considérer ainsi que les onze millions d’Irakiens qui ont voté sont comme les pères et mères fondateurs du nouvel Irak.

Le deuxième succès est le consensus trouvé dans l’exercice du pouvoir. Le nouvel Irak est le seul pays musulman avec un système de séparation des pouvoirs et un système de contrôle. Alors qu’en Iran qui a aussi une majorité shiite comme l’Irak, un seul individu, le "Guide Suprême" a des pouvoirs illimités, au dessus des institutions de l’Etat, au nom de l’"imam caché". En Turquie, un Conseil National de Sécurité non élu, dominé par les militaires, peut passer outre l’autorité civile et imposer sa loi. En Syrie, "une chambre étoilée", régie par le président, lui-même choisi lors d’élections à un seul candidat, peut annuler les décisions légales et juridiques.

Le troisième succès concerne la concentration des pouvoirs qu’on constate presque partout dans le monde musulman. En Iran, créer une école privée dans une des trente provinces exige l’approbation de Téhéran, en fin de compte le Guide Suprême lui-même. En Syrie, une autorisation de taxi roulant à Alep doit être approuvée par Damas. On ne peut pas traduire le mot "décentralisation" en arabe, perse ou turc. Le nouvel Irak a été conçu totalement décentralisé. Dans l’avenir, quand les Assemblées Régionales seront en place, l’Irak deviendra un Etat Fédéral, incroyable dans le monde musulman.

La diversité ethnique et religieuse constitue le quatrième sujet abordé par le nouvel Irak. Presque tous les pays musulmans présentent des communautés diversifiées sur le plan ethnique et religieux, souvent avec une longue histoire de méfiance mutuelle sinon d’inimitié. Habituellement la méthode du pouvoir musulman est d’ignorer la diversité. En Egypte la minorité Copte qui représente quelques 10% de la population n’a aucun représentant au Parlement ! En Turquie l’état a longtemps prétendu qu’il n’avait pas de minorité kurde, appelant ses quinze millions de kurdes, "les Turcs montagnards". En Iran, on trouve très peu d’Arabes, de Kurdes, de Balouches et de Turkmènes au Parlement et dans les hauts échelons du pouvoir, malgré qu’ils représentent plus de 15% de la population. Et les musulmans sunnites qui sont 12% ne sont pas autorisés à avoir une seule mosquée à Téhéran.

Le nouvel Irak offre un modèle différent dans lequel la diversité s’exprime librement à travers un système fédéral où le pouvoir est partagé.

L’Irak cherche aussi à résoudre un problème ardu, et c’est le cinquième que nous citerons, celui du partage des ressources naturelles, notamment le pétrole. Dans tous les pays musulmans où on trouve du pétrole, l’Etat a le contrôle exclusif de l’industrie et des revenus. Cela entraîne des disparités régionales et la corruption. Dans le nouvel Irak, les régions reçoivent des parts proportionnelles à leur démographie et le Parlement décide in fine du budget national.

L’Irak a abordé des problèmes que tous les autres pays musulmans ont ignorés ou n’ont pas réussi à résoudre. Au bout de 5 ans seulement, l’Irak montre déjà des signes de succès.

Mais l’histoire n’est pas écrite à l’avance. Le nouvel Irak peut encore échouer dans sa tentative de développer quelque chose de différent du despotisme qui domine la région depuis de siècles.

Ses amis peuvent l’abandonner avant que ses succès ne soient consolidés. Ses ennemis qui s’évertuent en permanence à tuer dans l’œuf ce nouveau modèle, pour éviter la comparaison, pourraient bien rire les derniers.

Amir TAHERI © New York Post

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