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Analyses

Entretien avec Haoues Seniguer sur la propagation de l’islamisme

.: le 24 juillet 2017

Lors de cet entretien, Haoues Seniguer explique le processus de diffusion de l’islamisme, du Moyen-Orient aux autres continents.

Pouvez vous revenir brièvement sur ce que signifie l’islamisme ?

L’islamisme est l’une des espèces ou modalités de l’intégralisme, au sens où l’entend le chercheur Jean-Marie Donegani qui s’intéresse pour sa part au catholicisme français. En d’autres termes, il s’agit de pointer la fusion entre politique et religion, au sein de laquelle la deuxième instance déterminerait absolument les contours de l’identité individuelle et collective en usant pour ce faire de moyens "légaux". Plus concrètement, l’islamisme ou l’islam politique, selon les expressions d’usage, procède d’une idéologisation exacerbée de la religion musulmane que l’on voit clairement apparaître au cours de la première moitié du XXème siècle en contexte majoritairement musulman, en Égypte et dans le sous-continent indien principalement. Ce type d’idéologie ne se contente pas de valoriser et d’exemplifier les enseignements spirituels de l’islam, qui n’engageraient in fine que l’individu et son intimité de croyant privé ou public, mais exhorte bien davantage, y compris par la contrainte, les individus et les sociétés à adopter une religion normative collective, à laquelle les représentations et l’agir humains doivent scrupuleusement se conformer, suivant la lecture et l’interprétation qui en sont faites par des clercs institués.

Pouvez vous revenir sur le contexte de cette notion, avec la guerre de 2003 en Irak ?

D’abord, il est utile de préciser que si les islamismes ont un tronc commun, c’est-à-dire le primat du religieux sur le politique, et la volonté ferme de construire un ordre politique "islamique" légitime suivant des enseignements religieux érigés au rang de normes collectives contraignantes, en revanche tous ceux qui ont peu ou prou un lien avec l’islamisme, ne cherchent pas forcément à recourir aux armes ou à la violence armée pour parvenir à leurs fins. Il y a à ce titre au moins deux classes d’islamisme : l’islamisme légaliste ou légitimiste, qui souhaite gagner sa légitimité par la voie pacifique des urnes, d’une part ; et d’autre part, l’islamisme violent ou radical, qui cherche, lui, à conquérir le pouvoir et/ou à s’imposer par la voix des armes.

J’ai tendance à penser que l’islamisme légaliste prospère quand deux conditions essentielles sont réunies : premièrement, un conservatisme ou une religion d’État, qui diffuse et inculque via le canal de l’enseignement et de l’éducation des représentations rigoristes de l’islam ; deuxièmement, lorsque les institutions étatiques ne jouent pas le jeu du pluralisme politique et religieux, et surtout, quand les droits humains et les règles démocratiques sont constamment violés. Quant à l’islamisme violent, voire terroriste, il prospère généralement dans des circonstances d’effondrement des États et de guerres civiles.

Comment l’islamisme s’est-il diffusé depuis 2003 au Moyen-Orient ?

C’est une question extrêmement importante. Elle doit placer au coeur de la réflexion de l’observateur la nécessité de bien prendre la mesure des conséquences à moyen et long terme de l’ingérence étrangère dans des contextes qui plus est fragilisés par des décennies d’autoritarisme, comme c’est le cas de l’Irak. L’intervention anglo-américaine de 2003, au regard de l’histoire, porte une responsabilité incommensurable dans le développement et les excroissances radicales au nom de l’islam. Ceci étant dit, évidemment, cela n’exclut aucunement la responsabilité conjointe des acteurs étatiques et non étatiques locaux dans un tel développement : le gouvernement autoritaire de Nouri al-Maliki, Premier ministre chiite de 2006 à 2014, qui a ouvert la boîte de Pandore anti-sunnite ; la violence armée dont usent abondamment des milices sunnites et chiites, etc.

Il en est de même dans le cas syrien : une révolution pacifique en 2011, qui a tourné court ; la répression et le redéploiement autoritaire sans merci du régime de Bachar al-Assad et de ses séides, miliciens chiites notamment, soutien sans failles de la Russie, de l’Iran et de la Chine, etc. Mais cela, comme dans le cas irakien, ne doit en rien nous rendre aveugles sur la responsabilité d’acteurs sociaux autonomes, les islamistes en particulier de Daech, qui, eux, font le pari idéologique de "la violence totale".

Par quels mécanismes a-t-il atteint d’autres continents, en particulier l’Europe et la France ?

C’était d’une certaine façon inéluctable pour deux raisons : d’abord, la mondialisation, immanquablement, crée des phénomènes d’identification. Un musulman sunnite peut être pris en empathie vis-à-vis de coreligionnaires victimes de la répression de Bachar al-Assad, qui décime, de fait, une majorité de sunnites, et aller jusqu’à vouloir les venger, là où il se trouve, en "punissant" ceux qu’il estime être des complices du régime syrien. Cependant, on aurait tort à mon avis de laisser penser que tous les Français qui partent en Syrie souhaitent y commettre des attentats et/ou avec le secret désir de revenir en France pour éventuellement en perpétrer. Puis, sur le plan militaire, l’intervention de la France dans une coalition armée depuis l’été 2014 bombardant des positions de Daech, soit donc antérieurement aux attentats de novembre 2015, aurait alimenté cette violence aveugle. Est-ce à dire que c’est ladite intervention militaire qui a entraîné cette volonté terroriste à agir sur notre territoire ? Clairement, non. Je continue de penser que c’est un prétexte. Souvenons-nous pour ce faire des attentats de janvier 2015 à Paris, avant l’entame de ces bombardements. Les frères Kouachi, après avoir commis le carnage que l’on sait dans les locaux du journaliste satirique Charlie Hebdo, ont scandé : "On a vengé le prophète", et pas autre chose ! On a là un indice probant de la force motrice et autonome du religieux.

Haoues SENIGUER © Les clés du Moyen-Orient (France)

Haoues Seniguer est maître de conférences à Sciences Po Lyon et directeur du CODEMMO.

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