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Analyses

Egypte : l’emprise des Frères musulmans inquiète l’opposition

.: le 24 août 2012

Dans cet article du Monde, Claire Talon revient sur les débuts de Morsi à la présidence de l’Egypte et sur ses opposants.

Le "morsimètre" est au plus bas. Cet outil inventé par des révolutionnaires égyptiens pour évaluer la fidélité du président Mohamed Morsi à ses "soixante-quatre promesses électorales" est sans appel. Au cinquante-quatrième des cent jours au terme desquels il a juré qu’il aurait mis en oeuvre la "renaissance" de l’Egypte, une seule promesse a été tenue : le lancement d’une campagne de presse et de sermons pour informer les gens que jeter ses ordures dans la rue est un péché.

Treize autres, principalement liées aux problèmes du nettoyage des ordures et de la qualité du pain, sont "en cours de réalisation". Les questions de sécurité, de circulation et de carburant, leitmotiv de sa campagne, restent en suspens. De même, ses promesses de promouvoir des femmes et des coptes aux plus hauts postes à responsabilité sont restées lettre morte. Quant aux enjeux cruciaux que sont la revalorisation des salaires, la santé et le système de sécurité sociale, royalement ignorés par le "projet de la Renaissance", ils ne sont pas à l’ordre du jour.

"SI JE MENS, DÉSOBÉISSEZ-MOI"

Pourtant, Mohamed Morsi, qui se faisait un point d’honneur à honorer ses promesses en trois mois ("Si je mens, désobéissez-moi", avait-il lancé lors de son intronisation), est en état de grâce.

Car le coup de balai qu’il a donné, début août, à la tête de l’armée, dont les généraux monopolisaient le pouvoir depuis la révolution de 1952, lui a valu la reconnaissance unanime de la classe politique et des jeunes révolutionnaires. Pour la première fois, l’espoir d’un Etat échappant aux militaires semble se concrétiser.

Dans le même temps, l’offensive militaire dans le Sinaï, territoire soumis à une démilitarisation partielle depuis les accords de Camp David avec Israël, suscite l’enthousiasme. Le gouvernement fait-il de la surenchère en envoyant des avions de combat et des colonnes de blindés déloger les "terroristes" du Sinaï dont le nombre reste flou ? Pour l’instant, l’armée a fait état de moins d’une centaine d’arrestations. Quels que soient les résultats de cette opération de grande envergure, la manoeuvre est habile : elle assure à M. Morsi une popularité qui a trop longtemps manqué à la présidence, tout en contribuant à détourner l’attention sur les efforts des Frères musulmans pour s’assurer le contrôle des institutions.

Depuis le décret constitutionnel du 12 août, par lequel il a arraché les rênes du pouvoir aux militaires, et en l’absence du Parlement, dissous auparavant par le Conseil suprême des forces armées, M. Morsi cumule les pouvoirs exécutifs et législatifs. Il a même la haute main sur l’écriture de la Constitution, puisqu’il s’est arrogé le droit de désigner une nouvelle Assemblée constituante si la formation actuelle échoue à se mettre d’accord sur un projet.

UN CONTRE-POUVOIR : LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE

Et les Egyptiens sont priés de croire le nouveau raïs sur parole lorsqu’il tente de rassurer sur ses intentions : "Le président n’utilisera son pouvoir législatif que si cela est nécessaire et en consultation avec les autres forces politiques", s’est contenté d’affirmer son porte-parole, en réponse aux critiques.

Désormais entouré d’un cabinet de tendance Frère musulman, d’un ministre de la défense dont l’islamisme est notoire et d’une Assemblée constituante elle aussi dominée par les islamistes, M. Morsi ne connaît plus qu’un contre-pouvoir : la Haute Cour constitutionnelle, qui continue à tenter de limiter les ambitions des Frères.

Mais beaucoup soupçonnent les Frères de préparer des remaniements à grande échelle au sein du pouvoir judiciaire, en cherchant notamment à se débarrasser du procureur général Abdel Meguid Mahmoud, nommé par Hosni Moubarak. La désignation des gouverneurs des provinces par le président promet elle aussi de verrouiller un peu plus le système : il est prévu que treize de ces vingt-sept hauts fonctionnaires, qui jouent un rôle fondamental dans la gestion du pays - notamment à travers l’organisation des élections -, appartiennent au Parti de la justice et de la liberté des Frères et aux salafistes d’Al-Nour.

DOUTE SUR LES INTENTIONS DES ISLAMISTES

Outre les incertitudes sur le calendrier, de lourdes craintes pèsent dans les rangs libéraux sur le projet que l’Assemblée constituante, profondément divisée, doit remettre fin septembre. L’écho des discussions qui s’y déroulent fait frissonner les esprits libres : il y a été question de condamner les journalistes qui attenteraient à la "réputation de l’Egypte" et de faire de l’université islamique Al-Azhar la référence sur les affaires relatives à la charia, au détriment des juges civils.

D’aucuns craignent que les islamistes ne torpillent les travaux en cours pour donner au président les moyens de désigner une nouvelle Constituante à sa botte.

Ces interventions multiples achèvent de semer le doute sur les intentions des islamistes et leur respect des procédures démocratiques. La confrérie - dont le siège à Mokattam, au Caire, aurait été subrepticement rehaussé de deux étages sans permis de construire - intervient en effet directement auprès de la présidence pour proposer des projets à Mohamed Morsi. Le dernier en date : une liste de cinquante noms pour les nouveaux gouverneurs.

Le sursaut tardif des forces libérales ainsi que des intellectuels suffira-t-il à brider les ambitions des Frères musulmans ? Alors qu’une importante manifestation pour défendre les libertés individuelles et protester contre la monopolisation du pouvoir était prévue au Caire vendredi, le président a émis en toute hâte, jeudi, une loi abrogeant les dispositions permettant la détention des journalistes pour "offense aux autorités". Quelques heures plus tôt, le rédacteur en chef du quotidien Al-Doustour venait d’être incarcéré pour "insulte au chef de l’Etat". Une première depuis la chute d’Hosni Moubarak.

Claire TALON © Le Monde (France)

Claire Talon est correspondante au Caire pour le quotidien Le Monde.

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