ACCUEIL
ORGANISATION
COMMUNIQUES
RAPPORTS
ANALYSES
EVENEMENTS
REACTIONS
CONTACT
 
NEWSLETTER
Analyses

Bagdad est plus proche que Saigon

.: le 16 juin 2014

Dans cet article, publié sur le site d’information israélien I24news, Leon Hadar s’interroge sur le rôle des États-Unis dans la lutte contre le groupe terroriste État Islamique qui sévit actuellement au Moyen Orient.

Lorsque la guerre en Asie du Sud-Est faisait rage dans les années 1960 et au début des années 1970, la plupart des Israéliens ont suivi l’intervention militaire des Etats-Unis avec un certain détachement, sinon une forme d’indifférence. Le Général Moshe Dayan, invité par les militaires américains à visiter une base au Vietnam, avait minimisé l’impact que la fin de la guerre aurait sur les intérêts d’Israël. De plus, certains membres de la gauche israélienne, à l’image de leurs homologues américains, s’étaient identifiés aux combattants américains pris dans les guérillas au Vietnam.

A certains égards, le bourbier militaire américain en Asie du Sud-Est a contribué à renforcer l’importance de l’après-guerre des Six jours et de la campagne américaine antisoviétique au Moyen-Orient. Alors que la défaite de l’armée américaine au Vietnam en 1975 portait un coup au prestige des Etats-Unis dans le monde. Cette défaite a également contribué à renforcer les liens entre Israël et Washington, qui comptait sur Jérusalem, Téhéran et Riyah pour contenir le radicalisme arabe encouragé par Moscou. Dans tous les cas, Saïgon (rebaptisée Hô chi Min) était loin, très loin de Tel Aviv.

Les rapports de Bagdad selon lesquels l’ambassade américaine se préparerait à une éventuelle évacuation, alors que les combattants d’Al-Qaïda affiliés à l’EIIL pourraient bientôt reprendre le contrôle de la capitale, inquiètent les politiciens israéliens. Pour ces-derniers, la débâcle de l’opération américaine en Irak, rappelle l’humiliante retraite des Etats-Unis au Vietnam. Les Israéliens se demandent si le fiasco militaire des Etats-Unis en Irak, comme celui du Vietnam il y a quarante ans, peut entraîner une retraite stratégique majeure des Etats-Unis de la région qui abrite l’Etat d’Israël. En effet, à la différence de Saïgon, Bagdad n’est pas loin de Tel Aviv.

En outre, de la même manière que la victoire du Viêt-Cong et la perte du Vietnam par les Etats-Unis ont eu un impact considérable sur toute la région d’Asie du Sud-Est, la victoire de l’EIIL en Irak et l’incapacité de Washington à désamorcer la crise en Syrie pourraient affaiblir la Pax Americana au Moyen-Orient et soulever des doutes quant à la capacité des Etats-Unis à rester le défenseur mondial d’Israël. Ironiquement, certains des principaux architectes de l’invasion américaine en Irak étaient des néoconservateurs, alliés stratégiques et politiques de Benyamin Netanyahou. Ils avaient prévu que la victoire des Etats-Unis en Mésopotamie aiderait l’hégémonie américaine à consolider son influence au Moyen-Orient et à renforcer la position de son allié, Israël.

Au lieu de cela, l’éviction de Saddam Hussein a permis de renforcer la position de l’Iran dans le Golfe persique, a conduit à l’établissement d’un régime théocratique et allié de Téhéran, et a profité au Hezbollah et au Hamas. Elle a également contribué au déclenchement d’une guerre sanglante entre sunnites et chiites qui s’étend maintenant à tout le Moyen-Orient. Le pouvoir militaire américain a été érodé, ainsi que sa capacité économique et sa crédibilité dans la région et à travers le monde. L’éviction de Saddam Hussein a enfin encouragé des sentiments isolationnistes dans la population américaine. Al-Qaïda, qui n’avait jamais mis un pied en Irak et en Syrie avant l’invasion américaine en Irak est en train de gagner du terrain dans ces deux pays, et pourrait éventuellement étendre son pouvoir jusqu’aux frontières d’Israël, en Jordanie et en Cisjordanie.

Le président Barack Obama, à qui les néoconservateurs (et leurs alliés au parlement israélien) reprochent le désordre qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer en Irak et au Moyen-Orient, réalise des coupes budgétaires, comme l’avaient fait les présidents américains après la débâcle au Vietnam, pour sauver la position américaine au Moyen-Orient. En effet, contrairement au scénario cauchemardesque qui a suivi l’évacuation américaine à Saigon, les communistes n’ont pas pris le contrôle de l’Asie et Washington s’est impliqué dans la reconstruction militaire et économique de la région, notamment à travers l’ouverture diplomatique de la Chine et en incitant les nations pro-occidentales de la région à renforcer leurs coopérations économique et militaire au sein de l’ASEAN. Par conséquent, comme ce fut le cas après le retrait américain du Vietnam, la défaite des Etats-Unis en Irak pourrait aider Washington à retrouver sa place au Moyen-Orient.

Mais les Israéliens doivent cesser de fantasmer sur de nouvelles interventions américaines au Moyen-Orient et devront s’adapter au nouvel équilibre des forces. Les Etats-Unis devront concentrer leurs efforts sur le dossier iranien. L’Amérique fera également tout pour montrer à Téhéran, Ankara, et Riyad qu’il est dans leur intérêt de stabiliser la situation, de prévenir la désintégration de l’Irak et de la Syrie, tout en veillant à ce que les conflits ne dégénèrent pas en une guerre globale entre sunnites et chiites. Alors que dans l’ancienne stratégie néoconservatrice/Likoud, l’Etat d’Israël devait jouer le rôle central de partenaire des Etats-Unis, il est aujourd’hui sujet aux volontés américaines, y compris en cas de veto d’une opération militaire israélienne en Iran.

Néanmoins, Israël pourrait jouer un rôle dans la nouvelle stratégie américaine dans le contexte du triangle Israël-Palestine-Jordanie, en aidant ses alliés Hachémites à Amman et en renforçant le pouvoir des forces modérées au sein de la communauté palestinienne. Selon cette perspective, avancer sur le chemin de la coexistence israélo-palestinienne pourrait être le meilleur moyen de réduire l’influence des islamistes radicaux en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cela pourrait également faciliter la coopération israélienne avec la Turquie et l’Arabie Saoudite, et sur le long-terme avec l’Iran. Verra-t-on émerger ce qui pourrait ressembler à une association des Etats d’Asie du Sud-Ouest ?

Leon Hadar © I24news (Israël)

L’auteur est analyste à Wikstrat, un cabinet de conseil géostratégique et enseigne les relations internationales à l’Université du Maryland, College Park.

Anglais Français Arabe Persan Turc Hébreu Kurde