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Analyses

Arabie ou Iran, où les intérêts d’Israël sont-ils le mieux garantis ?

.: le 28 juillet 2015

Leon Hadar, analyse à Wikistrat en géostratégie, analyse le rapprochement récent israélo-saoudien. Pour lui, c’est un rapprochement de circonstance et largement artificiel, alors que selon Hadar le vrai rapprochement pour Israël est à faire avec son actuel ennemi, l’Iran.

La publication de plusieurs rapports sur un rapprochement diplomatique entre Jérusalem et Riyad ces derniers temps laisse penser que les dirigeants israélien et saoudien ont conclu qu’ils font maintenant face à une menace commune : l’Iran. En Israël, les ayatollahs de Téhéran sont considérés comme le fer de lance d’un axe régional anti-israélien qui inclut le Hezbollah et le Hamas, tandis que les Saoudiens ont avertit que Téhéran utilise ses satellites chiites au Moyen-Orient pour déstabiliser l’Arabie saoudite et ses alliés sunnites. Les informations laissant entendre que l’Iran est en train de fabriquer des armes nucléaires enflamment les craintes à Jérusalem et à Riyad, tandis que le manque de volonté de Washington d’employer la force militaire contre cette menace, au profit de la diplomatie a contribué à produire un spectacle étrange : les Israéliens et les Saoudiens dénigrent l’administration Obama pour son hésitation à affronter l’Iran.

Mais l’idée qu’Israël et l’Arabie Saoudite soient sur le point de s’unir pour stopper l’Iran, et devenir les meilleurs amis du monde est une astuce de relations publiques visant à démontrer à ceux qui sont préoccupés par la crise des relations américano-israéliennes qu’Israël dispose d’une option stratégique alternative. En réalité, on ne peut même pas considérer Israël et l’Arabie Saoudite comme des "frenemies". Les inquiétudes que les deux pays partagent aujourd’hui sur l’Iran rappelle étrangement celles qu’ils partageaient dans les années 50 avec la menace posée par Gamal Abdel Nasser en Egypte.

Or, la coopération occasionnelle des agences de renseignement des deux pays n’a jamais évolué en un partenariat stratégique. L’ennemi de mon ennemi est resté mon ennemi. L’Iran, avec son soutien à des groupes terroristes, est responsable de l’assassinat de centaines d’Israéliens. Mais les Saoudiens, de leur côté, ont soutenu presque tous les groupes terroristes anti-israéliens, ont joué un rôle important dans la facilitation de l’attaque arabe sur Israël en 1973 et ont employé l’arme du pétrole dans le cadre de la stratégie d’affrontement contre l’Etat juif et l’Occident.

L’Arabie Saoudite reste une théocratie médiévale qui n’a pas d’institutions démocratiques et qui discriminent les femmes, les homosexuels et les fidèles d’autres religions ou encore de sectes, parmi lesquelles les chiites. Ryad a été un sponsor mondial de la forme la plus anti-occidentale de l’Islam, et il est responsable de sa propagation dans le reste du Moyen-Orient. La majorité des auteurs des attaques terroristes du 11 septembre 2001 étaient des Saoudiens et les pratiques meurtrières de l’État islamique, notamment les décapitations, sont fréquentes en Arabie Saoudite.

En un sens, l’Arabie saoudite ne peut même pas être considérée comme un Etat-nation normal. C’est une tribu du désert qui est parvenu à posséder une station-essence. Comparez-la à l’Iran, une nation qui une idée claire de son identité, qui est héritière d’une grande civilisation, avec une population jeune, dynamique et instruite qui, sous de bonnes conditions, peut transformer l’Iran en une économie avancée.

L’Iran est une théocratie et certainement pas une démocratie libérale. Mais c’est un pays où se déroulent des élections (truquées), un pays qui a préservé quelques-unes des institutions de la société civile, où vivent des hommes d’affaire influents, où évolue une industrie cinématographique de classe mondiale. On y trouve même une petite communauté juive, dans un pays qui, traditionnellement, est considérée comme le moins antisémite du monde musulman.

Certes, Israël et l’Iran partagent certains intérêts à long terme. Ils sont notamment tous les deux opposés au programme radical arabo-sunnite qui consiste à réprimer et exterminer les minorités ethniques et religieuses de la région, notamment diverses sectes chrétiennes en Orient, les Kurdes, les Chiites et les Juifs. L’Iran pourrait contrer les pressions visant à établir un califat sunnite et garantir la survie et l’autonomie des Alaouites et des Kurdes.

Personne ne suggère qu’Israël pourrait et devrait former une alliance stratégique avec la République islamique, ou qu’il ne devrait pas coopérer avec les Saoudiens pour la défense d’intérêts stratégiques communs. Le problème est que le gouvernement israélien n’essaie pas seulement d’empêcher l’Iran d’acquérir une bombe nucléaire. Il est en train de faire de l’Iran le point central de sa stratégie régionale, et espère attirer les Etats-Unis dans une confrontation militaire avec la République islamique.

Dans ce contexte, les monarques saoudiens machiavéliques espèrent qu’à défaut des Américains, les Israéliens attaqueront l’Iran pour eux tandis qu’ils continueront à entretenir des relations diplomatiques avec la République islamique. Le président Barack Obama, qui contrairement à la caricature présentée par ses détracteurs, n’est pas un « professionnel » de la politique étrangère idéaliste, mais un penseur de la realpolitik froid et calculateur, reconnaît la complexité du Moyen-Orient actuel. Il comprend que le moyen le plus efficace pour maintenir la stabilité dans la région est d’aider à créer un équilibre des systèmes de pouvoir en vertu duquel ni l’Iran ni l’Arabie Saoudite n’apparaitraient comme des puissances hégémoniques régionales.

De ce point de vue, une confrontation militaire avec l’Iran ne compliquerait pas seulement les efforts déployés par les Iraniens pour contrer l’Etat islamique. Cela pourrait également garantir que l’Iran, même sous une direction modérée, adopterait une doctrine anti-américaine (et anti-israélienne). Et dans ce cas, l’Arabie Saoudite, avec ses liens avec des groupes islamistes radicaux, ne peut pas être appelé à maintenir la stabilité dans la région et contrer l’Etat islamique.

Peut-être qu’au lieu d’essayer de former un axe imaginaire avec l’Arabie saoudite qui viserait l’Iran, Israël devrait lire le livre de realpolitik d’Obama. Pourquoi ne pas profiter de la pause stratégique que l’accord nucléaire apporte aujourd’hui pour réévaluer la position d’Israël dans l’équilibre changeant des systèmes de pouvoir ? Alors qu’il se prépare à l’éventualité que l’Iran obtienne un jour l’arme nucléaire, Israël devrait également songer à se joindre aux États-Unis dans leurs efforts diplomatiques avec Téhéran, et transformer un ennemi en un partenaire potentiel.

Leon HADAR © i24news (Israël)

Leon Hadar est analyse à Wikstrat un cabinet de conseil géostratégique. Il enseigne les relations internationales à l’Université du Maryland, College Park.

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