Abdelaziz ibn Saoud, le roi qui a unifié le désert.: le 22 août 2017
L’Orient-Le Jour en a choisi quinze individus qui ont écrit la destinée de leur pays ou de leur région. Leurs histoires feront l’objet de portraits, à raison de cinq par semaine, pendant trois semaines. Antoine Ajoury nous présente le deuxième, Abdelaziz ibn Saoud, le fondateur du 3ème État saoudien.
Il est le fondateur de l’un des pays les plus controversés de notre époque, l’Arabie saoudite. Ce grand pays désertique du Proche-Orient au cœur de la géopolitique énergétique depuis une centaine d’années, et plus récemment au centre du débat autour des sources du terrorisme et de l’islam radical, a été créé par Abdelaziz ben Abderrahmane al-Saoud, dit ibn Saoud. Il est l’arrière-arrière-arrière-petit-fils d’un autre ibn Saoud, celui qui, associé à ibn Abdelwahhab, avait créé le premier État saoudien en 1744.
L’enfance
On ne connaît pas exactement la date de naissance du roi Abdelaziz. Elle est généralement sujette à débat. Selon les auteurs, Abdelaziz serait né à Riyad entre 1876 et 1880. Son père, Abderrahmane, était le chef de la famille des Saoud. Mais depuis la mort de Fayçal ben Turki al-Saoud, en 1865, le pouvoir de la dynastie Saoud sur le deuxième État saoudien est tombé aux mains de la famille rivale des al-Rachid, soutenue par les Ottomans.
En 1891, Abderrahmane attaque Riyad qu’il reprend brièvement avant de s’enfuir dans le désert avec sa famille. Il se réfugie auprès de la tribu des al-Murrah, aux confins du désert du Rub’ al-Khali où le jeune Abdelaziz expérimente la rude vie bédouine.
Commença ainsi une longue traversée du désert qui mena la famille al-Saoud au Bahreïn où elle sera reçue par le cheikh Issa ben Ali al-Khalifa, puis la famille ira se réfugier au Qatar, et ensuite au Koweït où le cheikh Moubarak leur accorde l’hospitalité après l’arrestation des Ottomans et où la famille al-Saoud finit par s’établir en 1892.
Jeune, Abdelaziz affectionnait l’équitation. Les biographes officiels citent souvent son courage et son audace, et il était connu pour ses bonnes manières. Ses parents ont, en outre, mis à sa disposition un groupe d’oulémas pour lui enseigner les fondements de l’islam, apprenant, toujours selon les biographes officiels, le Coran par cœur. Pendant cette période, il apprit la politique, mais également l’art de la guerre et comment mener les soldats dans le champ de bataille.
La conquête du pouvoir
Le jeune Abdelaziz était dans sa vingtaine quand il quitta le Koweït à la tête d’une poignée de ses partisans pour conquérir Riyad, l’ancienne capitale de la dynastie, là où son père a échoué. En janvier 1902, Abdulaziz est entré victorieusement à Riyad, profitant d’un voyage d’Abdelaziz ben Moutaïb al-Rachid à Bagdad.
Le commando de 30 cavaliers dirigé par Abdelaziz pénétra par les terrasses dans la résidence de l’émir Ajlan, le tua, provoquant la reddition de sa garde.
Aussitôt après, son père abdique en sa faveur en tant que chef de la maison des Saoud, ne gardant que son titre d’imam. Cela a eu lieu dans la grande mosquée après la prière du vendredi. La conquête de la péninsule Arabique va donc se poursuivre pour le nouvel homme fort des Saoud. Il reprit ainsi tour à tour la région du Najd, al-Hassa et le Hijaz – province où sont situées les villes saintes de La Mecque et de Médine – qui tomberont progressivement sous le contrôle des partisans d’Abdelaziz, entre 1913 et 1926.
Le rêve brisé du chérif Hussein
Dans sa lancée, il chassa donc les Hachémites du chérif Hussein de La Mecque, où il entra vêtu en pèlerin. À noter d’ailleurs qu’il n’a pas revendiqué le titre de calife dont se prévalait Hussein après la disparition du califat ottoman. Le titre de gardien des deux sanctuaires pris par les souverains saoudiens ne remonte qu’aux années 1980.
Le chérif Hussein, lâché par les Britanniques, est contraint d’abdiquer le 3 octobre en faveur de son fils aîné Ali et doit se réfugier à Amman où son fils Abdallah est devenu émir de Transjordanie (la Jordanie actuellement). Hussein meurt le 4 juin 1931 à Amman. Ses rêves d’unifier les peuples arabes et ses ambitions de devenir calife lui auront fait perdre le titre que sa famille portait depuis plus de 400 ans. Sa seule consolation est probablement les trônes qu’ont occupés deux de ses fils, Abdallah en Transjordanie et Faycal en Irak, mais là c’est toute une autre histoire…
La dernière grande conquête d’Abdelaziz a lieu en 1926 avec la prise de l’Asir, Najran et Jizan, régions historiquement yéménites.
Le 23 septembre 1932, le roi Abdelaziz ibn Saoud réunit ses conquêtes en un État unique, le troisième royaume saoudien, auquel le traité de Taëf de 1934 annexa les trois provinces yéménites. Les guerres ayant permis la réunification du royaume saoudien et l’accession au pouvoir d’Abdelaziz ibn Saoud auront fait quelque 500 000 morts entre 1901 et 1932. Selon la légende, à chaque fois qu’Abdelaziz occupait une région ou gagnait une bataille contre une tribu ou un clan, il épousait une de leurs filles. Une manière à lui de faire la paix. En tout, il a eu quarante-deux épouses qui lui donnèrent cinquante-trois fils et trente-six filles. Il divorça 12 fois.
La légende du « Quincy »
L’un des moments forts de l’histoire politique du monarque saoudien reste sa rencontre avec le président américain Franklin Roosevelt. La rencontre a eu lieu le 14 février 1945 sur le navire de guerre américain « Quincy » stationné en Égypte. Parmi les histoires qui ont circulé autour de cette réunion, et reprises d’auteurs en auteurs, celle du fameux « pacte de Quincy » qui garantit à la monarchie saoudienne une protection militaire des États-Unis en échange d’un accès au pétrole.
Or l’historien Henry Laurens réfute cette « légende urbaine ». Selon lui, les deux chefs d’État ont abordé d’abord la question des juifs de Palestine. Ibn Saoud aurait affirmé, selon les procès-verbaux du sommet, que les Arabes sont prêts à mourir plutôt qu’à céder la Palestine. De son côté, le président Roosevelt prend, selon M. Laurens, le seul engagement de la rencontre : il a assuré au roi qu’il ne fera rien pour aider les juifs contre les Arabes et ne mènera aucune action hostile au peuple arabe. Ils évoquèrent ensuite la Syrie et le Liban, et notamment la fin du mandat français sur ces deux pays. Enfin, les deux hommes se sont accordés sur la nécessité de développer l’agriculture.
Si les deux personnalités n’évoquent pas la question du pétrole durant leur rencontre, c’est que l’affaire a déjà été réglée, affirme Henry Laurens. Riyad avait accordé dès 1933 des concessions pétrolières à des compagnies américaines.
Ainsi, si la rencontre pose le fondement des relations des États-Unis avec la péninsule Arabique, il faut toutefois la considérer dans son contexte historique, à savoir la fin de la Seconde Guerre mondiale et la rivalité américano-britannique sur laquelle ibn Saoud, en vieux roi rusé, savait jouer.
Ce n’est qu’avec la guerre froide que l’Arabie saoudite est devenue un allié privilégié des États-Unis qui n’avaient pas à craindre de la monarchie saoudienne un quelconque penchant vers l’Union soviétique. Et ce n’est qu’en 1950 que Riyad obtient l’engagement du président Truman que Washington protégera l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Arabie saoudite.
Le troisième État saoudien
Entre-temps, le roi Abdelaziz a commencé à organiser l’État. Peu de temps après avoir uni les régions et les tribus, et après avoir établi la sécurité dans le royaume, le fondateur du troisième État saoudien déclencha le développement des systèmes administratifs et organisationnels nécessaires pour fonctionner correctement.
Avec la révolution énergétique liée à l’exploitation du pétrole, la prospérité du royaume a vite pris son essor. Tombé malade, le roi Abdelaziz ibn Saoud meurt d’une crise cardiaque en 1953. À sa mort, il laisse derrière lui l’un des pays les plus puissants et influents du monde musulman. Actuellement, l’Arabie saoudite est le plus grand exportateur de pétrole au monde, il abrite les deux sites les plus sacrés de l’islam et il est un pilier principal de l’OPEP, de la Ligue arabe et de l’OCI. Aujourd’hui, 15 000 princes et princesses issus de différentes générations descendent directement de lui. L’actuel roi Salmane est le premier monarque issu de la deuxième génération. Tous ceux qui l’ont précédé n’étaient que les fils d’Abdelaziz.
Antoine AJOURY © L’Orient-Le Jour (Liban)
Antoine Ajoury est journaliste à L’Orient-Le Jour.